Journal de Naryu/Côte d'or
Média d'origine : TES Online : Morrowind
Par Naryu Virian, environ 2E 583
La Côte d'or
Le port de Cœur-Enclume, où se dirigeait le dernier Clandestin. D'une certaine manière, j'avais gardé le pire pour la fin, car Dathus Ildram était le diplomate en chef de la Tong, et le fetcher le plus fourbe, fuyant et sournois que j'aie jamais connu. Ça n'allait pas être facile de le coincer. Cœur-Enclume était encore plus un « port franc » que le débarcadère d'Abah, dirigé depuis le château de Cœur-Enclume par une gouverneuse qui s'était elle-même promue de capitaine pirate à suzerain local. C'était peut-être même elle que notre hâbleur d'Ildran venait voir. Quoique ça me paraissait peu probable : contrôler quelques équipages de pirates, ça paraissait petit bras pour ce que les Sept Clandestins préparaient. Leur émissaire devait traquer un plus gros gibier. Mais que pouvait-il y avoir qui mérite son intérêt, dans ce trou du fût de Cyrodiil ? Une chose était sûre, ce serait illégal. Alors comme d'habitude, ma première escale m'amena vers le refuge de hors-la-loi local. Pour une fois, il était facile à trouver. Puisque tout ce qui n'était pas aux mains des pirates était illégal, à Cœur-Enclume, il me suffit de demander à un type louche mais non naviguant, et de battre un peu des cils. Facile. Puis je laissai traîner mes oreilles dans le refuge. Gadnuth me manquait un peu. Il aurait eu plein de remarques désobligeantes à faire sur les autochtones, qui semblaient tous réfugiés d'ailleurs. Mais crois-moi, Crâne, j'appris des trucs. Apparemment, pendant des générations, la Côte d'or s'est surtout occupée de contrebande. Même des petits coins de paradis comme la Propriété Jarol avaient des grottes de contrebandiers cachées dans les profondeurs, avec des entrées secrètes depuis la mer. La gouverneuse Fortuna avait coopté la plupart de ces entreprises, mais au moins une, une entreprise d'envergure, tenue par un bras clandestin de la Compagnie commerciale de la Côte d'or, restait en activité, sans verser des redevances. Ça me semblait prometteur, alors je suivis cette piste… mais pas parce qu'Ildram s'intéresserait à la contrebande. C'était parce que la Compagnie commerciale de la Côte d'or était de mèche avec les marchands de la maison Hlaalu, et parce qu'Ildram se présentait comme un négociateur Hlaalu de haut vol. Cette entreprise doublement illicite se trouvait dans une vieille ruine ayléide appelée Garlas Agea, au nord-est de Cœur-Enclume. Tout en évitant les nombreux gardes, j'appris vite ce que les habitants de la Côte d'or voulaient tellement cacher. Ils ne faisaient pas entrer des marchandises en Cyrodiil : ils en faisaient sortir des reliques volées ! Les plus grands trésors de la cité impériale ravagée étaient pillés et expédiés… ailleurs. Je le déduisis à partir des documents que je trouvai dans la pièce la plus éloignée de l'entrée, éparpillés autour du cadavre du marchand hlaalu qui avait géré l'opération avant d'être assassiné. Pas abattu, je dis bien assassiné. Par un professionnel. Mais pas un assassin de la Morag Tong. Le coup de grâce qui avait tranché la gorge de la victime était, pour nos pratiques, excessivement théâtral. Donc, c'était la Confrérie Noire. Je ne pouvais pas m'attarder pour en apprendre d'avantage, sinon que le défunt était originaire de Kvatch, car des mercenaires de la Côte d'or patrouillaient à proximité, des n'wahs musculeux avec des armes et une armure plutôt impressionnantes. L'un des mercenaires me vit partir, et ils me poursuivirent. Je décidai d'éviter la route, pour disparaître dans le paysage. Mais la Côte d'or, ce n'est pas Morrowind. Le soleil est trop vif, le feuillage trop épars. Je ne réussis à les semer qu'en escaladant une falaise puis en me cachant dans un arbre. La honte ! Je décidai de profiter du peu de couverture que je trouvai en remontant le cours d'un torrent à sec. Bien sûr, c'est aussi là que vivaient les bestioles du coin, comme des trolls des rivières, qui m'ont lancé des vasards. Littéralement. Des vasards ! Quelqu'un trouva ça désopilant : un rire flûté et strident monta des buissons. On se moque de l'effroyable assassin Naryu Virian ? Je tirai mes lames et tailladai les buissons, pour me retrouver face à deux nixades qui voletaient en me montrant du doigt et en pouffant. Quelle humiliation ! Je repartis vers le sommet. J'aperçus au passage un majestueux temple de pierre de la Première Ère de Cyrodiil, à l'abandon et en ruines. Enfin, presque à l'abandon : un profond grondement animal résonna dans l'ombre de la porte, suivi d'une créature tout droit sortie des légendes. Un minotaure, b'vek ! Il renâcla d'un air menaçant. « Là, gentil taureau… soufflai-je en reculant. La petite Naryu ne te veut aucun mal… Retourne dans tes ruines. Là, gentil taureau ! Au revoir… » Et je pris mes jambes à mon coup, accompagnée par l'hilarité d'une autre nixade. Quelles saletés ! On ne tolérerait pas ça, à Morrowind ! Je n'étais pas arrivée bien loin quand je croisai deux autres minotaures. Du moins, c'est ce que je croyais, jusqu'à remarquer qu'ils étaient un petit peu trop petits pour ça. Deux silhouettes cornues menaient une sorte de rite religieux devant un autel entouré de piliers. Curieuse, je m'approchai, assez près pour constater qu'ils s'agissait de deux Impériaux vêtus d'armures de minotaure qui priaient Sainte Alessia et Saint Morihaus. Bizarre. Je n'ai jamais compris comment on peut prier des divinités mortes alors que le monde en possède encore d'autres bien vivantes. J'y réfléchissais encore quand j'arrivai à Kvatch, avec son immense cathédrale d'Akatosh. Les habitants de Kvatch sont réputés pour leur piété, et on raconte que le primat d'Akatosh est presque un codirigeant de la ville. Ce qui en ferait un siège idéal pour un chapitre de la Confrérie Noire, puisque les assassins prospèrent le mieux là où les règles sont strictes et où les gens se sentent coincés et retenus. Faute de pouvoir exprimer leurs frustrations, les désaccords mineurs dégénèrent en conflits colossaux, et la seule solution est parfois de retirer l'un des intervenants. Je savais que le marchand hlaalu assassiné résidait au château Kvatch, aussi le plus simple était-il de voir si son compatriote Ildram y avait aussi ses quartiers. Il y avait un garde plutôt mignon à la poterne. Quelle aubaine ! Mon sourire aveuglant lui soutira la confirmation qu'un certain Hlaalu appelé Dathus Ildram logeait entre ces murs. Mais j'allai trop loin en demandant gentiment au garde séduisant de me laisser entrer et d'oublier qu'il m'avait vue. Il se raidit immédiatement, et m'enjoignit de partir, sous peine d'arrestation. Saletés de Coloviens ! Et pire, il avait eu le temps de bien me regarder. Comment entrer ? J'étais à la taverne, à réfléchir à tout ça, quand un vieil ami entra, un cher vagabond meurtrier qui m'avait déjà aidée par le passé. Je lui fis signe, et mon ami me rejoignit d'un pas sautillant, avec une assurance crâne et radieuse. Lorsque je vis la garde d'une Lame du malheur dépasser de sa cape, je compris pourquoi : cet adorable crétin avait rejoint la Confrérie Noire. Et là, je compris que mes problèmes étaient terminés. Il me suffirait de convaincre ce clochard-assassin de me faire entrer au château Kvatch par la petite porte. Et c'est exactement ce qui s'est passé. Pas de Sacrement noir nécessaire, puisque c'est moi qui tuai le Hlaalu, dans sa chambre. Mais il était difficile de me montrer aussi reconnaissante que je l'aurais dû pour un assassinat raté. Je ne l'avais pas dit à mon ami vagabond, mais au moment d'« Évider la truite », je savais que mon adversaire était trop lent et trop stupide pour être le véritable Drathus Ildram. Encore un sosie. Des simulacres, des doubles… et je compris que c'était la clef de toute cette histoire. La Morag Tong était la ligue d'assassins originelle, mais après les Exécutions des Potentats, la Tong avait été éclipsée, remplacée par un double. Une autre ligue. La Confrérie Noire, qui possède aujourd'hui des sanctuaires dans tout Tamriel. L'ambition des Sept Clandestins ne se limitait pas à Morrowind, ils voulaient retrouver leur emprise sur le continent. Et le mieux pour cela était de noyauter la Confrérie Noire, déjà en place et établie dans chaque province. C'était certainement ça, l'objectif d'Ildram : négocier une alliance avec la Confrérie Noire. Et si cela ne pouvait pas se faire pacifiquement, ce serait une prise de contrôle hostile. Il devait déjà se trouver dans le sanctuaire. Je suivis donc leur nouveau Frère, mon cher vagabond, jusqu'à leur porte noire si laide. Mon ami entra, je me mis à l'aise à proximité et tirai mon nécessaire à déguisement. S'ils voulaient jouer aux sosies, je ne pouvais pas les décevoir. Mon vagabond finit par ressortir, sans remarquer que je me glissais par la porte entrouverte dans son dos… en abordant une assez belle approximation de son visage ! À l'intérieur, le sanctuaire était… assez déprimant. Décoré sans le moindre goût. On aurait dit la chambre d'un adolescent membre du Culte du Ver. La Confrérie Noire étaient comme des gosses qui auraient trouvé une grotte sombre et décidé de jouer à être des assassins. Mais on ne peut pas trop en demander à des n'wahs qui personnifient Sithis, et lui érigent des statues… Je levais les yeux en passant devant une énième applique en forme de crânes (ils ont en mis partout ; partout…) quand une voix profonde et glaçante a soufflé derrière moi : « La Morag Tong, hein ? Vous devez chercher l'autre. » Je me retournai face à une présence silencieuse et émaciée vêtue de robes noires. Je reculai d'un pas, mais il ajouta : « Ne fuyez pas. Vous n'êtes pas notre ennemie. C'est l'autre, l'ennemi. » « J'ai rejeté le diplomate, continua la silhouette en noir. Il n'est plus rien, maintenant que ses alliés sont tous morts. Cet imbécile. Il ne se doutait de rien. Il pensait trouver de nouveaux alliés à l'Enclave du sablier. Il ne doit plus en être loin. Si vous vous dépêchez, Morag Tong, vous pourrez peut-être l'arrêter avant qu'il ne vous cause d'avantage d'embarras. » Puis la Robe noire se détourna pour repartir dans l'ombre, comme si je n'avais aucune importance, comme si j'étais déjà partie. D'ailleurs, je n'avais aucune raison de traîner là. Le décor était vraiment trop laid. L'Ordre des heures : Ildram comptait-il vraiment trouver quoi que ce soit d'utile là-bas ? Les chevaliers d'Akatosh étaient des fanatiques, bien sûr, et les fanatiques sont faciles à manipuler, mais l'idée même puait le désespoir. J'aurai dû savoir qu'Ildram était trop malin pour ça. Au moment où j'approchais de l'Enclave, trois cavaliers sont sortis au galop : Ildram et deux autres paladins, partant à bride abattue vers l'ouest. Si je ne m'étais pas aussitôt cachée dans les buissons, ils m'auraient piétinée. Clairement, Ildram n'avait pas chômé. Il possédait déjà des alliés parmi les chevaliers. Je les ai donc suivis. Ce fut facile : l'emprunte de leurs sabots me mena directement à une antique ruine impériale appelée Chevaliers-en-terre, qui semblait en rapport avec l'Ordre. Les chevaux paissaient pas très loin, et la porte cerclée de fer était entrouverte. L'invitation idéale. Alors j'entrai. Mais ces fieffés auraient pu me tendre leur piège juste derrière la porte ! Au lieu de cela, ils m'obligèrent à traverser tout le donjon. La plaie. Ça m'a sacrément énervée. Mais j'avais mangé le dernier galopin Paria, alors ils ne me virent pas approcher. Les paladins moururent les premiers. Puis Ildram. Il finit par me supplier. Mais je n'avais pas le cœur à être diplomate. Et d'un coup, c'était terminé. Sept Ordres reçus, sept Ordres exécutés. C'était sans doute la mission la plus importante de ma carrière, accomplie, si tu me permets cette remarque, avec astuce et une élégance irréprochable. Dommage que personne n'ait été là pour admirer la chose, hein Crâne ? J'en avais assez de ces territoires trop ensoleillés, où on ne pouvait pas trouver un bol de cassoulet aux champignons digne de ce nom. Il était temps de rentrer à Vvardenfell. La longue traversée me laisserait le temps de réfléchir à mon avenir. Et j'avais rendez-vous à Vivec.
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