Père du Niben
Média d'origine : Oblivion Commentaire : Livre paru également dans TES Online, sans le troisième fragment, sous le titre "Le père du Niben".
Par Florin Jaliil (traduction et commentaires)
Introduction : Ecrire une biographie est toujours un défi. Habituellement, le problème consiste à évaluer ses sources, en comparant les préjugés d’une chronique à ceux d’une autre et encore d’une autre. On m’a raconté que Waughin Jarth, durant l’écriture de sa célèbre et fort appréciée série sur la Reine-Louve de Solitude, fit appel à plus d’une centaine de récits de l’époque. Je ne peux me plaindre d’avoir rencontré ce genre de souci. Il n’existe qu’un seul document évoquant l’homme qu’on appelle Topal le Pilote, le plus ancien Aldmer connu à avoir exploré Tamriel. Seuls quatre courts fragments du récit épique intitulé "Père du Niben" sont parvenus jusqu’à aujourd’hui, mais ils proposent un regard intéressant, quoique controversé, sur l’Ère du Méréthique Moyen durant laquelle Topal le Pilote a pu voguer sur les mers de Tamriel. Bien que "Père du Niben" constitue la seule trace écrite des voyages de Topal le Pilote, ce n’est pas la seule preuve de son existence. Parmi les trésors de la grande Tour de cristal de l’archipel de l’Automne se trouvent ses cartes, aussi approximatives que fascinantes, l’héritage qu’il a laissé à Tamriel. La traduction des termes aldmers "Udhendra Nibenu", "Père du Niben", est la mienne et j’accepte le fait que d’autres érudits pourraient être en désaccord avec mes choix en la matière. Je ne saurais promettre que ma traduction est à la hauteur de la beauté du texte original : je me suis surtout attaché à rester cohérent. Premier fragment : Second navire, le Pasquiniel, dirigé par le pilote Pendant des siècles, d’étranges boules cristallines furent déterrées sur les sites d’anciens docks ou d’antiques épaves aldmer. Ces artefacts étranges ont laissé les archéologues perplexes jusqu’à ce qu’il fut démontré que chacune de ces pierres avait tendance à tourner sur son axe dans une direction spécifique. Il en existait trois variétés, l’une pointant vers le sud, une autre pointant vers le nord-est et la troisième vers le nord-ouest. Leur fonctionnement reste un mystère, mais elles semblaient harmonisées avec des lignes de pouvoir spécifiques. Il s’agit des "pierres-voies" mentionnées dans le fragment, que chacun des pilotes utilisait pour orienter son navire dans la direction qui lui était assignée. Un navire dont le nom n’apparaît pas dans le fragment s’en fut vers le nord-ouest, en direction de Thras et Yokuda. Le Pasquiniel suivit la pierre-voie du sud et vogua probablement en direction de la Pyandonée. Topal et sa pierre-voie du nord-est atteignirent le continent de Tamriel. Ce fragment indique clairement la tâche assignée aux trois navires – trouver un passage pour retourner vers l’Ancienne Ehlnofey afin que les Aldmers vivant dans l’archipel de l’Automne puissent savoir ce qu’il était advenu de leur terre natale. Puisque ce livre est consacré à une étude de Topal le Pilote, je n’ai point la place nécessaire pour y étudier les différentes théories concernant l’exode des Aldmers depuis l’Ancienne Ehlnofey. Si je devais utiliser ce poème comme unique source d’informations, je me rangerais à l’opinion des érudits qui croient à l’histoire traditionnelle de plusieurs navires quittant l’Ancienne Ehlnofey, qui se seraient retrouvés pris dans une tempête. Les survivants atteignirent l’archipel de l’Automne mais, sans leurs pierres-voies, ils furent incapables de dire dans quelle direction se trouvait leur patrie. Après tout, quelle autre explication y a-t-il pour le fait d’envoyer trois navires dans trois directions différentes pour trouver un endroit ? Naturellement, un seul des navires revint et nous ignorons si l’un ou l’autre (ou les deux) de ceux qui ne revinrent pas trouvèrent l’Ancienne Ehlnofey ou s’ils périrent en mer de la main des anciens Pyandonéens, des Sloads ou des Yokudans. Nous devons assumer, à moins de penser que les Aldmers étaient particulièrement stupides, qu’au moins l’un des vaisseaux pointait dans la bonne direction. Cela pourrait tout à fait avoir été celui de Topal, celui-ci n’étant simplement pas allé assez loin au nord-est. Donc, Topal met les voiles depuis Primeterre en direction du nord-est, ce qui se trouve être la direction dans laquelle on peut voyager le plus longtemps sur la mer Abécéenne sans rencontrer la terre. S’il s’était rendu vers l’est, il aurait accosté sur le continent là où se trouve aujourd’hui l’Ouest colovien de Cyrodiil en quelques semaines. S’il était allé vers le sud-est, il aurait pu atteindre le sommet de Val-Boisé en quelques jours. Mais notre pilote, à en juger par ses cartes et les nôtres, partit en ligne droite vers le nord-est, à travers la mer Abécéenne, jusqu’à la baie d’Iliaque, avant de toucher terre quelque part près de l’endroit où s’élève Anticlere, le tout en deux mois de temps. Les collines verdoyantes du sud de Hauteroche sont clairement celles qui apparaissent dans cet extrait, n’importe qui s’étant rendu là-bas les aura reconnues. La question, évidemment, est : que penser de cette apparente référence à des Orques occupant la région ? La tradition veut que les Orques ne soient apparus qu’après que les Aldmers se furent installés sur le continent, constituant une nouvelle race distincte à la suite de la fameuse bataille entre Trinimac et Boethiah à l’époque de Resdayn. Il est possible que la tradition se trompe. Peut-être les Orques étaient-ils une tribu aborigène antérieure à la colonisation aldmer. Peut-être s’agissait-il d’un peuple maudit – "Orsimer" en aldméri, le même mot que pour "Orque" - d’un genre différent, dont le nom aurait par la suite été donné aux Orques. Il est regrettable que le fragment s’arrête là, car des indices nous rapprochant de la vérité sont sans aucun doute manquants. Il est possible d’évaluer ce qui manque entre le premier et le second fragment. Plus de quatre-vingts mois ont dû s’écouler, car Topal se trouve à présent de l’autre côté du continent de Tamriel, tentant de faire voile vers le sud-ouest pour revenir à Primeterre après son échec dans sa quête de l’Ancienne Ehlnofey. Deuxième fragment : Nul passage vers l’ouest ne put être trouvé parmi les falaises inflexibles Nous pouvons voir ici qu’en plus d’être un grand navigateur, un cartographe, un expert en matière de survie et un conteur hors pair, Topal était un maître archer. Il pourrait évidemment s’agir d’une licence poétique mais nous avons des preuves archéologiques indiquant que ces Aldmers utilisaient des arcs sophistiqués. Non seulement leurs armes composées de couches de bois et de corne superposées et dotées de cordes en soie argentée sont très belles mais elles restent, d’après ce que j’ai entendu des experts affirmer, des plus mortelles. Et ce plusieurs millénaires après leur conception. Il serait tentant d’imaginer qu’il s’agissait d’un dragon mais la créature à laquelle Topal fit face au début de ce fragment évoque plutôt un braillard des falaises du Morrowind contemporain. La côte composée de falaises traîtresses évoque la région autour de Necrom, et l’île de Gorne pourrait bien constituer le repaire du "lézard chauve-souris". A ma connaissance, aucune créature de ce genre n’existe aujourd’hui dans la partie orientale de Morrowind. Troisième fragment : Les territoires marécageux fétides et malfaisants et leurs lézards humains En retraçant les mouvements de Topal, on constate qu’il a frôlé Morrowind puis s’est enfoncé dans le sud du Marais noir, apparemment déterminé à suivre de son mieux la direction indiquée par sa pierre-voie. Le marais qu’il quitte se trouve probablement près de l’emplacement actuel de Gideon. Sachant ce que nous savons au sujet de la personnalité de Topal, nous pouvons comprendre sa frustration dans la baie entre le Marais noir et Elsweyr. Voilà un homme qui suit les ordres à la lettre et qui sait qu’il aurait dû se diriger vers le sud-est par la rivière pour rejoindre Primeterre. En examinant ses cartes, on peut voir qu’il a tenté de trouver des chemins pour traverser, car il a cartographié la mer intérieure de Morrowind et plusieurs des affluents marécageux du Marais noir, et enfin sans doute détourné par la maladie et la férocité des tribus argoniennes qui ont dissuadé bien des explorateurs après lui. Avec une carte moderne de Tamriel en main, nous constatons qu’il a fait le mauvais choix en décidant d’aller au nord-est plutôt que de continuer vers le sud. Il ne pouvait pas savoir à l’époque que ce qu’il percevait comme un continent s’étendant à l’infini n’était en réalité qu’une péninsule faisant saillie sur l’océan. Il savait simplement qu’il était déjà allé trop loin au sud et il prit donc la décision intelligente mais incorrecte de remonter la rivière. Il est ironique de penser que cette erreur de calcul lui a valu d’être aujourd’hui dans les livres d’histoire. La baie dont il pensait qu’il s’agissait d’un océan sans fin s’appelle aujourd’hui la baie de Topal, et le fleuve qui lui a fait faire un tel détour porte le même nom que son navire, le Niben. Quatrième fragment : Les chats démons à deux et quatre pattes couraient le long Ce dernier fragment est doux-amer pour plusieurs raisons. Nous savons que cet étrange et amical peuple à plumes rencontré par le pilote va disparaître – de fait, ce poème est le seul qui fasse mention de ces créatures de Cyrodiil. Le don de l’écriture que leur a fait Topal n’a visiblement pas suffi à les sauver de leur destin final, probablement aux griffes des "chats démons", dont nous pouvons assumer qu’il s’agissait des Khajiits de naguère. Nous savons que Topal et son équipage n’ont jamais trouvé de route depuis les huit îles qui correspondent aujourd’hui à une zone allant de la Cité impériale à la baie d’Iliaque. Ses cartes racontent l’histoire que ce poème ne peut narrer. Nous voyons sa main tracer sa route en remontant le Niben jusqu’au lac Rumare, explorant ensuite quelques affluents qui ne le conduisent pas là où il le souhaite. Nous pouvons imaginer la frustration de Topal, et celle de son équipe ayant traversé tant d’épreuves, tandis qu’ils redescendent le Niben jusqu’à la baie de Topal. Là, ils réalisent semble-t-il leur erreur précédente, car nous voyons qu’ils passent la péninsule d’Elsweyr. Finalement, ils voyagent le long du littoral, au-delà des rives du Val-Boisé, jusqu’à arriver enfin chez eux. Habituellement, les récits épiques se concluent par une fin heureuse mais celui-ci commence de cette manière, et les épisodes ayant abouti à cette fin ont disparu. En plus des extraordinaires créatures similaires à des oiseaux du Cyrodiil, nous avons eu un aperçu des Orques (peut-être) du passé, d’anciens braillards des falaises, d’anciens Argoniens et, dans ce fragment, des ancêtres des Khajiits. Cela fait beaucoup d’histoire en quelques lignes de poème, tout cela parce qu’un homme a échoué à retrouver le chemin de son pays et emprunté les mauvais tournants en tentant de revenir sur ses pas. |