« Très bien, soupira Mazaram. » Il expliqua que l'un de ses agents – car Mazaram avait fait fortune dans le transport maritime – lui avait parlé d'une terre sans souverain. « Autrement plus importante que ce village. Une perle scintillant dans l'obscurité. Une terre dont vous pourrez aisément revendiquer la Couronne, mais qu'il vous sera impossible d'atteindre sans l'aide de mes agents. »
Azelit-ra partit d'un rire méprisant.
« Balivernes ! Je ne vois là qu'une ruse grossière visant à m'écarter pendant que vous épousez ma fille ! Ha ! Je ne m'en laisserai pas conter !
- Cela n'a rien d'une ruse, beau-père, assura Munilli. Sur l'honneur de ma mère, je jure avoir vu cette terre, tout comme vous ! Sa beauté a inspiré de nombreux contes et chansons ! »
À ces mots, Azelit-ra fut abasourdi. Il savait que Munilli voulait épouser Mazaram, mais il savait également qu'elle était une fille honnête, qui plaçait l'honneur de sa mère au-dessus de tout. Toutefois, il continuait de douter, car un homme prudent ne donne pas sa confiance aisément.
« Très bien. Quelle est donc cette terre dont vous parlez, mais dont j'ignore tout ? »
Mazaram leva un doigt réprobateur.
« Vous ne croyez tout de même pas que je vais vous le dire, au risque de vous voir la conquérir sans moi ? Vous aurez certes, besoin de l'aide de mes agents, mais je ne suis pas à l'abri de vous voir jouer les risque-tout.
- Parfait, s'offusqua Azelit-ra. Mais si vous refusez de parler, comment savoir si vous dites vrai ?
- Mon agent vous y mènera cette nuit, répondit Mazaram. Pourrons-nous alors parler de la dot ? »
« Ah, je vois, songea le cupide beau-père. Tout cela n'est qu'une ruse. Ils espèrent pouvoir s'échapper alors que je prépare mon voyage vers cette terre imaginaire. Ils ne perdent rien pour attendre ! »
« Soit ! s'exclama Azelit-ra, à la stupeur des serviteurs qui l'entouraient. Mais s'il faut que nous prenions la mer, nous devrons fêter vos fiançailles au préalable ! Mazaram, vous vous assiérez à ma droite. Quant à toi, Munilli, tu seras à ma gauche. »
« Ha ! Qu'ils essayent donc de s'échapper ! », songea-t-il, satisfait.
Les deux amants acceptèrent et Azelit-ra n'eut d'autre choix que d'ouvrir son cellier et sa cave à vin à tous les villageois qui festoyèrent jusqu'au coucher. Comme à son habitude, le propriétaire de la plantation mangea goulûment, s'assurant que nul ne se rassasiait plus que lui. Les amants, assis à ses côtés, firent quant à eux un modeste repas, mais ne quittèrent jamais la table. Bientôt, Azelit-ra fut gagné par la torpeur et l'agacement.
« Les lunes se lèvent, Mazaram ! Où est donc l'agent dont vous parliez ? s'enquit-il.
- Je suis juste derrière vous, messire, ronronna une voix à son oreille. »
Le vieil homme bondit, mais recouvra rapidement ses esprits. Il se retourna pour faire face à un vagabond, coiffé d'un chapeau à larges bords. La queue du voyageur s'agitait, sans qu'Azelit-ra pût définir s'il s'agissait là d'un signe de nervosité ou d'amusement.
« Parfait. Je suis prêt. Menez-moi donc à cette terre dont on me rebat les oreilles ! mugit-il. Ou je ferai en sorte que Mazaram et vous ne soyez plus qu'un mauvais souvenir !
- Vous êtes prêt ? s'enquit-il. Dans ce cas, allons-y ! »
En un éclair, le vagabond ôta son chapeau à larges bords et le dieu fourbe dans toute sa splendeur se révéla à la foule. Sans un mot, Rajhin agrippa la tunique tachée du gros homme et ils décollèrent telles deux comètes. Bientôt, leur traînée scintillante disparut dans le halo de Jode, la plus grande des lunes.
« Vraiment, songea Munilli à voix haute. Nous pouvons voir cette terre depuis notre village. Et elle brille telle une splendide perle. »
Lorsque les villageois recouvrèrent leurs esprits, les fiançailles se changèrent en épousailles et quand la lune fut à son zénith, Mazaram et Munilli étaient unis par les liens du mariage.
Mais alors qu'ils s'apprêtaient à célébrer leur nuit de noces, ils furent saisis d'un frisson glacial. Les bougies crépitèrent. L'obscurité monta dans la chambre. Munilli cria, et Mazaram tâtonna dans le noir en quête de son épée.
Brusquement, Rajhin apparut dans un éclat de lumière, époussetant la poussière de lune qui maculait ses vêtements.
« Hé bien ! Où vous cachez-vous donc ? marmonna-t-il sous les yeux hébétés des deux amants. Ah, vous voilà ! »
En un éclair, Rajhin tendit la main et parut refermer la main sur l'air vide. Puis il fourra précipitamment la main dans l'une de ses nombreuses bourses. La lumière revint dans la chambre.
« Qu'était cette chose, messire ? s'étrangla Munilli.
- Oh, ça ? L'ombre du gros homme ! Nous sommes partis si vite vers son nouveau royaume, qu'il l'a laissée derrière lui ! »
Et il partit d'un rire si tonitruant qu'il résonne aujourd'hui encore sur toute la rive.