Josea et Lucky, Partie II Par Anonyme
Mats continuait de raconter l'histoire de Lucky et Josea.
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Les années passèrent, vingt d'entre elles. Davantage d'enfants vinrent au monde. Timmy se maria. Le pays continua à prospérer. Peu moururent, aussi y avait-il à présent beaucoup d'habitants, et une bonne partie de la forêt avait été remplacée par des fermes. D'autres devinrent soldats ou marins. Leurs voyages et batailles furent fructueux, et ils rentrèrent au pays chargés de butin. Les dieux étaient avec eux, d'après eux, car ils étaient un peuple vertueux et méritant. Bordeciel avait été unifié sous le règne du Roi Vrage le Talentueux, le second et le plus noble fils du légendaire Harald d'Ysgramoor, ainsi le roi de Josea fut-il élevé au rang de roi de tout Bordeciel. Les Nordiques, sous le commandement de Vrage, marchèrent sur Morrowind et Hauteroche, conquérant les Elfes Noirs rusés et voleurs, et les faibles et superstitieux Brétons.
Josea et Lucky avaient ouvert une boutique et construit une belle grande maison pour leur famille. Une nuit, Josea se leva seule, et entendit des voix dans l'entrée. Elle se glissa hors du lit et alla voir de quoi il s'agissait. Les voix semblaient colériques !
Lucky était debout dans sa chemise de nuit ; ces dernières années l'avaient un peu changé. Il n'avait pas l'air plus vieux, mais il était plus mince, plus pâle, et quelque part moins imposant. Avec lui étaient une grande matrone aux cheveux sombres, vêtue d'une robe bleue de bonne qualité, un chevalier en armure noire, portant une épée noire et un bel homme blond vêtu de vert, avec un arc. Deux elfes étaient également là, l'un blond et l'autre à la peau dorée ; l'un avait une harpe, l'autre un luth. Aucun elfe n'avait été vu à Bordeciel depuis des années ! Où le calme et simple Lucky avait-il pu rencontrer des gens aussi majestueux ?
"C'est ainsi que vous respectez le pacte que nous avons signé avec vous ? Les conditions n'étaient-elles pas assez claires pour vous ?"
La femme criait sur Lucky, qui se contentait de marmonner, "Dame Mara, je n'avais pas réalisé que tant de temps s'était écoulé. C'était seulement pour quelques jours, puis pour quelques autres jours encore. Et puis il y a eu les enfants et Josea avait besoin de moi. Je ne pensais pas à mal. Les choses semblaient aller bien pour tout le monde. Ça n'a pas duré si longtemps. Avant, Tamriel se passait fort bien de moi." Lucky parlait avec douceur, mais son visage était déterminé et Josea savait à quel point il pouvait être têtu.
"Pour tout le monde ! Qu'en est-il des Brétons ? Qu'en est-il des Elfes Noirs ? Et les Elfes des Bois. Et je ne parle pas des elfes des glaces. Ils sont morts, tous et à jamais morts."
"Un peuple si réservé... J'ai essayé." Lucky eut un instant d'hésitation. "J'ai vraiment essayé. Les elfes des glaces furent très difficiles à trouver, et pas très amicaux quand je les ai découverts."
"Tous les elfes les suivront-ils dans la tombes, et les Brétons, et les autres races ?"
"J'y irai, j'y irai. Mais Hauteroche et Morrowind sont si loin d'ici... Et comment pourrais-je quitter mes enfants ? J'ai sûrement le droit d'avoir des enfants ? Et ma femme..."
"Vous auriez pu régler le problème comme je l'ai fait," déclara le ranger vêtu de vert. "Maintenant, il est trop tard. Les choses sont allées trop loin. C'était une mission simple. Et pourtant, nous aurions dû le surveiller." Ces derniers mots s'adressaient au chevalier noir.
"Je l'ai observé," dit sèchement le chevalier en agitant son épée, qui, comme Josea le voyait à présent, faisait partie intégrante de son bras. "Mais seul, je ne pouvais rien faire ! J'ai peu de fidèles en Hauteroche ou à Morrowind. Quand je l'ai réalisé, j'ai su que je devais vous trouver ; seul, je ne pouvais pas faire grand chose. Ce qui était en mon pouvoir, je l'ai fait. Ils se sont arrêtés pour l'instant, mais les dégâts doivent être réparés, et celui qui est la cause de tout cela doit s'en occuper. Bohémien ! Ça ne sera pas facile. Je crois que vous allez devoir éviter complètement Bordeciel pendant une bonne paire de siècles."
"Non ! Seigneur Ebonarm, non !" Le cri de Lucky lui vint du cœur. "Je ne peux pas. Je vous en supplie. Ne me demandez pas ça... Laissez-moi quelque chose de bien à moi ! Pourquoi faut-il toujours que je donne tout aux autres ? J'en ai assez ! Vous m'aviez promis une vie, et ce que vous m'avez donné, cette errance sans fin, n'était pas une vie !" Le chevalier noir retourna une grimace à Lucky.
"Nous sommes un peuple modéré," dit l'Elfe des Bois barde de sa voix musicale, "pourtant Zénithar ne peut plus être maîtrisé. Et s'il entre en guerre contre vous, les autres dieux elfiques resteront à ses côtés ! Si les dieux se font la guerre, c'est Tamriel elle-même qui risque d'être détruite. Les daedra pourraient vous rejoindre ; ils adorent le chaos. Mais je pense que même Springseed, Ebonarm et Mara vous combattront si vous continuez à les défier."
"Jephre dit vrai, comme toujours. Ne parlons pas d'une guerre entre nous, mon ami. Nous ne voulons aucun mal à votre peuple. Nous regrettons sincèrement ce qui s'est passé et travaillerons pour réparer notre faute. Je regrette notre longue absence, qui était pourtant nécessaire. On avait besoin de Raen et moi... Autre part." Dit Mara. "Et même un dieu, ou une déesse, ne peut être partout à la fois."
"Quant à vous, Sai" dit-elle, se tournant vers Lucky. "Je vous accorde une nuit par an avec votre femme et vos enfants. Mais non incarné. Les tentations sont trop fortes pour vous, à ce que je vois. C'était une erreur de vous laisser sous la forme d'un mortel si longtemps. Je tiens à présenter mes excuses au reste d'entre vous. Maintenant, allez faire vos adieux. Je vous congédie."
Le chevalier et le ranger disparurent, mais les elfes restèrent. Celui à la peau dorée s'adressa à Mara, "Surveillez attentivement vos nouvelles gens, Dame Mara. Nous sommes un peuple patient, et de bonne disposition envers les autres races, mais notre patience a des limites. Prenez garde." Puis les elfes partirent également.
Lucky tomba à genoux, agrippant la robe de Mara, son visage figé en un masque d'angoisse, "Ma Dame, attendez ! Je vous l'implore. Ne pourrais-je plus jamais ressentir quoi que soit ? Jamais ? C'est plus que je ne peux en supporter. Vous autres pouvez tolérer de n'être qu'occasionnellement sous forme mortelle. J'aurais mieux fait de mourir naturellement," ajouta-t-il amèrement.
Mara l'examina, les sourcils froncés. "D'autres ont payé cher pour la vie que vous avez volée. Les esprits sont tourmentés ; eux aussi réclament justice. Et pourtant... très bien. Si vous travaillez durement à réparer les dommages que vous avez provoqués, alors vous pourrez vous incarner, mais pas en humain. Le loup sera votre forme, en retour de la gentillesse dont vous avez fait preuve envers Grellan."
Et elle partit, laissant Lucky debout, seul, pieds nus. Josea accourut auprès de lui et le serra contre elle... Oh, comme il était froid !
"Qu'y a-t-il, mon chéri ? Qui étaient-ce ? Que cela signifie-t-il ? Oh, ne nous abandonne pas !"
"Je le dois," dit-il en tremblant. "Je suis resté bien trop longtemps. Ma chérie, je suis la Chance elle-même. Je suis né avec ce talent, bien qu'aussi mortel que toi. Mon seigneur m'a recruté comme soldat. J'ai été tué lors de ma première bataille, même si elle a été gagnée. J'ai toujours porté chance aux autres, jamais à moi-même, jamais. Ebonarm m'est apparu, il a dit que j'avais un talent intéressant et m'a offert l'immortalité si j'acceptais de répartir la chance."
"Il a dit que les dieux étaient surchargés de travail, à surveiller les événements et à se quereller pour savoir ce qui allait se passer. Il pensait que je pourrais équilibrer les choses avec mon don. J'étais jeune. J'avais à peine vécu. Je ne voulais pas mourir, alors j'ai accepté, et Ebonarm a dit que je pouvais garder mon corps pour quelques temps. Je ne vieillirais pas ni ne mourrais, mais je m’éteindrais lentement, comme tu l'as vu. J'ai près de quatre-vingts ans, maintenant. J'ai fait comme il me l'a demandé pendant des années. Puis je t'ai rencontrée, et je pense que j'ai été captivé par ton besoin. J'étais ta Chance, tu vois, ce dont tu avais besoin. Et la vérité est que j'ai besoin de toi, mon cher amour."
"Mais alors que je restais ici, ma chance s'est répandue comme des ondes, plus forte au centre, faible à l'extérieur, jusqu'à ce qu'il n'y en ait plus du tout en Morrowind, à Hauteroche et en Wilderness au Sud, et des peuples ont disparu ou sont réduits en esclavage. J'ai aussi porté chance aux Nordiques, parmi lesquels je vivais, de sorte que les Elfes des Bois ont fui et que les Elfes des Glaces sont morts. Je dois partir, maintenant, et leur ramener la Chance et rétablir l'équilibre, ainsi qu'il aurait dû être."
Il se rendit dans la chambre des enfants et les embrassa dans leur sommeil, alors que ses larmes s'écoulaient sur eux. Puis il dit, "Je serai avec toi une nuit par an, mais tu ne me verras pas. Mais tu pourras ressentir ma présence, mon amour. Oh, et je ne pourrai jamais parler d'amour ou de mariage... Mais sache que je t'aime, plus qu'aucun homme ou dieu a jamais aimé une femme." Puis il l'embrassa une dernière fois, et partit.
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Mats cessa finalement de parler. Le feu était devenu cendres. Edward eut un long soupir.
"Cette histoire," demanda Edward, "est-elle vraie ?"
"Traiterais-tu ma grand-mère de menteuse ? Je sais qu'elle avait coutume de laisser un bol de lait dehors, les nuits d'hiver. "Pour le Loup", disait-elle. Et nous autres Nordiques estimons qu'attaquer un loup, à moins qu'il ne t'attaque, porte malheur. ça pourrait être Sai !"
"Ma grand-mère disait qu'elle tenait ce conte de son arrière-grand-mère, et cette dernière était Josea elle-même. Ou peut-être était-ce son arrière-arrière-grand-mère. Je m'y perds. De toute façon, c'est arrivé pendant le règne du Roi Vrage le Talentueux, comme je le disais, quand les Nordiques ont envahi Morrowind et Hauteroche. Sai a mis cent cinquante ans pour rétablir la situation, et il avait grand besoin d'aide. Du père et des frères de Moraelyn, notamment. Les Elfes Noirs et les Brétons ont eu de la chance de récupérer leurs terres, tu vois, et ç'a été dur pour le peuple de Bordeciel, vu qu'une fois que la chance a montré la voie qu'on emprunte, cela prend du temps de vraiment l'arpenter par soi-même. Et Sai n'a pas refait la même erreur. Depuis, il a toujours réparti la chance. Sans quoi des gens deviendraient arrogants et penseraient qu'ils ont plus de droits que les autres. Jusqu'ici, il a tenu parole. Tu vois, je suis un de ses descendants et une fois par an je ressens sa présence. C'était cette nuit."
"Je pensais qu'être un dieu signifiait pouvoir faire tout ce qu'on voulait," dit Edward.
"Eh bien, il le peuvent, tu vois. Sai l'a fait, pendant un moment, mais ses confrères et lui-même n'étaient pas satisfaits du résultat. Il y a des lois pour les dieux, on dirait, comme il y a des lois pour les hommes ou les garçons."
"Mais alors, qui les écrit ?" demanda Edward.
Mats rit. "Tu ferais mieux de garder cette question pour l'Archimage. C'est trop profond pour moi ! Bon, je ne sais pas pour toi, mais je vais aller boire quelque chose. Avoir tant parlé m'a assoiffé et a réveillé Mith, donc je peux aller me coucher."
"Mats, on m'a appris que le père et les frères de Moraelyn étaient juste des pillards et que les Nordiques étaient les véritables propriétaires des terres qu'ils ont prises. Que les Elfes Noirs ont surgit et pillé par malignité et avarice."
"Le père de Moraelyn, Kronin, et ses frères, Cruethys et Ephen, sont devenus des pillards une fois que les Nordiques les ont chassés de Coeurébène. Les guérillas, ça n'est pas du joli, mais pas plus que de perdre son pays. La version de l'histoire des humains s'est altérée en passant d'une génération à l'autre, mais il reste quelques Elfes Noirs ayant traversé cette période. Yoriss, la tante de Moraelyn, en fait partie ; celle qui gouverne à Kragenmoor. Oh, il a bien quelques Elfes Noirs, le long de la frontière de Sombrejour, qui ne sont que des voleurs et des kidnappeurs, là n'est pas la question. Ils se sont installés dans des cavernes, dans les montagnes et pillent les fermes et les villages de l'Est de Bordeciel. Mais le peuple de Moraelyn n'a rien à voir avec eux, du moins pas depuis qu'ils ont retrouvé leurs propres terres en Morrowind. Moraelyn déteste le pillage. Il l'arrêterait s'il le pouvait." Mats soupira.
"Pourquoi ne le peut-il pas ?"
Mats bâilla longuement. "C'est une affaire de politique et de pouvoir, mon garçon. Pose-lui la question, et tu obtiendras plus de réponses que tu n'en aurais voulu, pour une fois. Moi, je vais au lit. Bonne nuit."
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