La séduction d'Y'ffre
Date de publication : 24/10/2014 Média d'origine : Archives du maître du savoir
Par Gwaering, la Dame Verte
L'épopée du Vert, qui résonne à présent jusque dans mes os, m'a réveillée. J'entends cette histoire comme une vie en mouvement, la trame incarnée à chaque seconde, tissée d'un fil étincelant sur un glorieux métier. Chaque pas léger sonne comme un tambour, un mot, une pensée qui prend forme. Chaque flèche décochée devient une exclamation, un rebondissement de l'intrigue, un commencement et une fin. Je me dissous dans le nous. Je suis devenue la Chasseresse, la Protectrice, la Vengeance du Vert. Mes souvenirs sont puisés dans les rivières de l'histoire connue des Bosmer depuis les temps informes. C'est ma main qui a arraché le cœur de la Malveillante Fougère, l'ennemi envahissant qui dévorait nos enfants et faisait hurler d'horreur les mères et les pères. C'est ma flèche qui transperça l'œil de Dulohoth la Cognée, cet orque immonde qui avait ordonné à ses innombrables disciples d'arracher et brûler les arbres des racines aux frondaisons. Lorsque la maladie frappa les bêtes du bois de Graht, je chassai sans répit pendant cent nuits pour nourrir les affamés. Et je chasserai cent nuits encore. Tout cela, je l'ai fait, et je le ferai à nouveau si l'heure en vient. Les cris des enfants d'Y’ffre, leur joie, leur peur, leur rage et leur deuil, retentissent chaque jour plus fort en mon cœur. Ils sont la vie implacable qui bat dans les forêts les plus profondes. Je les entends en rêve ; leurs émotions deviennent miennes, et s'en trouvent amplifiées mille fois. Rien ne m'empêchera de leur répondre. Je répondrai jusqu'à ce que mon sang imprègne la terre et abreuve les racines des chênes graht. Si j'entends le récit que tracent les Os de la Terre, il n'étouffe pas encore ma peur. Une angoisse encore m'étreint. Je suis la Dame Verte, et dans mon esprit, cela ne souffre nulle hésitation. Mais en mon esprit, je ne suis aussi que Gwaering l'archère, brave mais chétive. J'ai peur. Gwaering s'estompera-t-elle ? Saura-t-elle supporter le torrent d'émotion primale qui monte et croît chaque jour ? Trouvera-t-elle la force de répondre au Vert et de lui porter secours ? Saura-t-elle protéger son peuple et le Silvenar ? Pourtant, je me console par la certitude que ces doutes et ces peurs sont sans conséquence. Ils ne sont qu'une petite digression, l'interruption d'un enfant impatient devant le récit du Trameur. Le temps se poursuivra, et l'histoire ne s'interrompt jamais que pour mieux reprendre son souffle. Jamais de terme, rien que des flux et des reflux. L'appel retentira, et si ma voix ne suffit à lui répondre, mon rôle prendra fin, et une autre me remplacera. Ainsi, je le sais à présent, va le monde. |