L'Envers de l'Endroit : Différence entre versions
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Version du 17 mars 2006 à 11:39
L'Envers de l'Endroit
Par Yaqut Tawashi
" Alors, pourquoi refuses-tu de parler ? " demanda Kazagha.
Zaki posa sa chope de bière et observa sa femme de longues secondes avant de répondre.
" Bon sang, je te l'ai déjà dit, expliqua-t-il à contrecoeur. Chaque fois que j'entame une discussion, elle se déroule dans l'ordre alphabétique, chérie. Et la seule façon de faire en sorte que cela ne m'arrive pas, c'est de ne pas parler du tout.
- Comment peux-tu être sûr de ne pas te faire des idées ? demanda patiemment Kazagha. Ce ne serait pas la première fois que cela t'arriverait. Souviens-toi quand tu pensais qu'un mage de guerre du roi du Marais noir se cachait derrière chaque arbre avec son nécessaire de viol pour faire de toi son esclave sexuel, tout chauve et grassouillet que tu étais ? Il ne faut pas avoir honte, Shéogorath aime bien nous rendre honteux de temps en temps. Si tu allais voir le guérisseur...
- Damnation, Kazagha ! "
Zaki sortit sans un autre mot et claqua violemment la porte derrière lui. Il faillit heurter Siyasat, sa voisine.
" Excusez-moi ", fit cette dernière.
Se bouchant les oreilles, Zaki remonta la rue et prit la première à droite pour rejoindre sa boutique de tailleur. Son premier client l'attendait sur le pas de la porte, un large sourire gravé sur le visage. Ravalant sa colère, Zaki lui sourit aussi en sortant ses clés.
" Fantastique journée, n'est-ce pas ? dit le client.
- Gros crétin ! "
Fou de rage, Zaki envoya le jeune homme bouler d'un coup de poing bien placé et repartit en courant.
Bien qu'il ait du mal à l'admettre, Kazagha avait raison. Il était manifestement temps pour lui de reprendre l'un des cocktails à base d'herbes du guérisseur. Le temple de Tarsu, consacré à la santé, mentale comme physique, se trouvait à plusieurs rues au nord. Halqua, l'herboriste principal, l'accueillit à l'extérieur de l'édifice en forme d'obélisque.
" Hé bien, Sa'Zaki Saf, comment allez-vous, aujourd'hui ? lui demanda-t-elle.
- Il me faut un rendez-vous avec Tarsu, répondit-il aussi calmement que possible.
- Juste le temps de vérifier son emploi du temps, dit Halqua en inspectant un parchemin. S'agit-il d'une urgence ?
- Kleptomane comme je suis ? Plutôt ", reconnut Zaki en se frappant la tempe.
Pourquoi n'avait-il pas dit oui, tout simplement ? D'autant qu'il ne souffrait nullement de kleptomanie, en plus. Quelle malédiction...
" Laissez-moi regarder, fit Halqua en fronçant les sourcils. Je n'ai rien avant mercredi prochain. Cela vous conviendrait-il?
- Mercredi ! s'écria-t-il. . Mais je serai complètement dingue d'ici là ! Vous n'avez rien plus tôt ? "
Il savait ce qu'elle allait lui répondre avant qu'elle n'ouvre la bouche. Et c'était de sa faute. Si seulement il avait laissé la conversation arriver tranquillement jusqu'à " O " avant d'exiger une réponse...
" Non, répondit-elle en effet. Je regrette. Dois-je prendre le rendez-vous ? "
Serrant les dents, Zaki s'en alla. Il déambula dans les rues, tête basse afin d'éviter toute conversation. Lorsqu'il releva les yeux, il s'aperçut qu'il se trouvait sur les quais. Une brise agréable montait de l'eau et il inspira profondément à plusieurs reprises. Il se sentait presque redevenu normal et, maintenant que sa colère était retombée, il pouvait se remettre à réfléchir. Et si, cette fois-ci, il ne s'agissait pas d'un délire ? Le dilemme classique : avait-il tout à fait perdu la raison ou se passait-il vraiment quelque chose d'étrange ?
De l'autre côté de la rue, la devanture d'une boutique se parait d'herbes, cristaux et autres boules de verre emplies de fumée. L'enseigne clouée au-dessus de la porte annonçait : " Consultations mystiques de 8 à 15. " Même si Zaki n'y croyait guère, cela valait la peine d'essayer. Les seuls individus qui venaient se faire soigner sur les quais étaient généralement des aventuriers qui ne comprenaient rien à rien.
D'épaisses fumées d'encens roses et or dissimulaient une bonne partie des marchandises proposées par la boutique. Des masques mortuaires psijiques semblaient observer Zika depuis les murs, un grand nombre d'encensoirs pendaient au plafond et de hautes piles de livres constituaient un véritable labyrinthe. Un petit homme coiffé d'un turban additionnait les achats d'une cliente fatiguée derrière une table.
" Oui, vous me devez bien cinquante-sept pièces d'or, confirma le vendeur. La cireuse d'écailles est offerte par la maison. Quant à la chandelle, n'oubliez pas qu'elle ne doit être allumée qu'une fois que vous aurez invoqué Goroflox l'Impie. Enfin, la racine de mandragore est plus efficace dans la pénombre. "
La cliente sortit avec un petit sourire timide à l'attention de Zaki.
" Pardonnez-moi de vous déranger, mais j'ai besoin d'aide, fit ce dernier. Chaque fois que je prends part à une conversation, elle semble se dérouler dans l'ordre alphabétique. J'ignore si je deviens fou ou si je suis l'objet de forces qui dépassent mon entendement. Pour être honnête, je suis généralement sceptique pour ce qui est de votre genre de commerce, mais je ne sais plus vers qui me tourner. Pouvez-vous m'aider en mettant un terme à cette démence ?
- Que cela ne vous inquiète pas, ce problème est assez courant, le rassura l'homme en lui tapotant le bras. Quand vous arrivez à la fin de l'alphabet, la conversation recommence-t-elle à " A ", ou bien reprend-elle l'alphabet à l'envers ?
- Reprend au début, répondit automatiquement Zaki avant de pousser un juron en voyant qu'il avait oublié le pronom. Malédiction ! Elle reprend au début ! Vous voyez ce que je veux dire ? Je vous en prie, répondez-moi : ai-je perdu la tête ?
- Sûrement pas. Vous l'avez encore bien sûr les épaules.
- Très aimable à vous, fit Zaki. Au fait, je m'appelle Zaki.
- Un très joli prénom, fit l'autre en lui donnant une tape dans le dos. Moi, c'est Octoplasme. Suivez-moi, je vous prie. J'ai exactement ce qu'il vous faut. "
Octoplasme guida Zaki de l'autre côté du bureau. Les deux hommes passèrent entre plusieurs armoires poussiéreuses dont les étagères regorgeaient de bocaux contenant des créatures plus étranges les unes que les autres. Puis, dépassant de nombreuses piles de livres en état de décomposition plus ou moins avancée, ils atteignirent le coeur de la boutique. Là, Octoplasme trouva un petit cylindre et un ouvrage, qu'il tendit à son client.
Zaki lut tout en plissant les paupières : " Vampirisme, possession daedrique et secrets du wigmam ? Qu'est-ce que cela a à voir avec moi ? Qu'est-ce que c'est qu'un wigmam, et combien cela va-t-il me coûter ?
- Wigwam, le corrigea le vendeur. La tente des chamans à qui l'on doit ces textes. Ce volume décrit l'art consistant à inverser la direction des choses pour contacter le monde des esprits, mettre un terme aux malédictions et guérir des maladies comme le vampirisme, par exemple. Vous connaissez l'histoire de l'homme à qui l'on dit que les poissons morfales vivent dans l'eau chaude, et qui répond : Dans ce cas, pourquoi ne pas les faire bouillir dans l'eau froide ?
- Xénophus, répondit instinctivement Zaki, dont le frère avait connu l'individu en question, bien des années auparavant. Et cette espèce de cylindre, là ? "
Octoplasme alluma une bougie et amena l'objet au-dessus de la flamme afin que Zaki le voie bien. De fines fentes avaient été creusées dans la longueur du cylindre. Regardant à l'intérieur, Zaki vit une succession de symboles, certains blancs, d'autres noirs.
" Yin et yang représentent les principes féminins et masculins, expliqua le vendeur. Ils sont disposés de la sorte pour que les changements de couleur fassent apparaître un motif lorsque l'on fait tourner le cylindre dans le sens des aiguilles d'une clepsydre. Mais nous, ce qui nous intéresse, c'est de le faire tourner dans le sens inverse, afin de décomposer le mouvement normal. Faites-le en récitant l'incantation que je vous ai indiquée dans le livre. "
Zaki prit l'objet et le fit tourner au-dessus de la bougie dans le sens indiqué, remarquant que les symboles se succédaient de façon étrange. Cela lui demanda un certain effort de concentration mais, au bout de quelques instants, il parvint à le faire tourner de manière régulière, jusqu'à ce que la succession de symboles lui paraisse plus fluide. A ce moment, il prit le livre dans sa main libre et lut le passage souligné.
" Zones d'ombre, zones de lumière / Tournez, tournez à l'envers. / J'invoque les divinités Boéthia, Drisis et Kynareth / Pour que mon trouble enfin s'arrête. / Ma vie d'avant n'avait rien de passionnant / Mais je n'ai pas envie de devenir dément. / Tournez, tournez à l'envers / Zones d'ombre,
zones de lumière. "
Alors qu'il récitait l'incantation, Zaki eut l'impression que les symboles se modifiaient pour prendre peu à peu son apparence. Le phénomène se poursuivit au fil des minutes, jusqu'à ce qu'il ait l'impression de se voir, nu et titubant, à l'intérieur du cylindre. Enfin, étourdi à force d'avoir tant tourné, son double minuscule porta la main à sa tête et s'effondra.
Octoplasme reprit le livre et le cylindre des mains de Zaki. Tout semblait comme avant. Il n'y avait eu ni éclair, ni grondement de tonnerre. Et pourtant, Zaki avait l'impression que quelque chose avait changé. Il se sentait de nouveau normal.
Lorsque Zaki sortit des pièces de sa poche afin de payer, Octoplasme refusa en secouant la tête.
" Terme long à traitement tel d'un effets les être peuvent quels savoir de impossible est il car, gratuit c'est. "
Soulagé pour la première fois depuis de nombreux jours, Zaki sortit de la boutique en marche arrière et repartit de la même manière en direction de sa boutique.