Nouveau guide impérial de Tamriel/Martelfell : Différence entre versions
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Si vous parlez au tailleur de pierres impérial qui a reconstruit les nefs, les murs et les créneaux d'un bâtiment cyrodiilien suite à un raid, il vous dira à quel point il est difficile de réparer des pierres aussi travaillées et aussi lourdes. Si la plupart des constructions impériales doivent être démolies et reconstruites à l'issue d'un conflit, de nombreux éléments décoratifs Yokuda, comme les escaliers volants ou les dômes décoratifs, ont été conçus de telle sorte qu'ils s'écroulent lors d'une attaque ou d'un séisme afin de faciliter leur reconstruction par la suite. Mais ces structures n'en sont pas moins solides et défient fièrement la chaleur écrasante qui règne en ces lieux. Il n'est pas nécessaire d'être architecte pour comprendre que ces structures reflètent la maison originale des Rougegardes. | Si vous parlez au tailleur de pierres impérial qui a reconstruit les nefs, les murs et les créneaux d'un bâtiment cyrodiilien suite à un raid, il vous dira à quel point il est difficile de réparer des pierres aussi travaillées et aussi lourdes. Si la plupart des constructions impériales doivent être démolies et reconstruites à l'issue d'un conflit, de nombreux éléments décoratifs Yokuda, comme les escaliers volants ou les dômes décoratifs, ont été conçus de telle sorte qu'ils s'écroulent lors d'une attaque ou d'un séisme afin de faciliter leur reconstruction par la suite. Mais ces structures n'en sont pas moins solides et défient fièrement la chaleur écrasante qui règne en ces lieux. Il n'est pas nécessaire d'être architecte pour comprendre que ces structures reflètent la maison originale des Rougegardes. | ||
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Version du 11 août 2018 à 11:12
Média d'origine : Édition Impériale de TES Online
Par Flaccus Terentius, de la Société Géographique Impériale, 2E581
Les Rougegardes de l'Alliance de Daguefilante
La traversée de la Baie d'Iliaque m'a permis de me documenter sur l'histoire de Yokuda. Une histoire marquée par la violence, la soif de pouvoir et la fourberie.
N'ayant été ni poursuivi ni enlevé, la seule chose qu'on puisse me reprocher serait de souffrir du mal de mer et de vomir ma viande de cheval dans la Baie d'Iliaque. J'affirme donc haut et fort que ce premier vrai contact avec les Rougegardes est un succès. À bord de ce navire en partance pour sentinelle, une chose me frappe immédiatement : cette culture est étonnamment martiale. Du mousse au capitaine, tout le monde ici porte ses armes en permanence. Les marins qui montent la garde sur ce navire portent même leur armure lourde ! Que leur arriverait-il s'ils passaient par-dessus bord ? Comparés aux lunatiques Brétons, les Rougegardes sont empreints d'une grande dignité. Grands, larges d'épaules, ils ont la peau sombre, les cheveux raides et semblent nés une épée à la main. J'ai discuté avec quelques Rougegardes et je les ai trouvés guindés, obsédés par leur propre honneur et plutôt distants. En tant qu'Impérial je ne m'étais pas senti dépaysé par la culture brétonne, mais je ne puisais aucun réconfort dans la vue des dômes de la cité portuaire de Sentinelle qui étincelaient à l'horizon. Les Rougegardes venaient d'un autre continent et il semblerait qu'ils aient apporté avec eux tout ce qui leur a été possible de transporter depuis Yokuda.
Quand ils ne parlent pas du dénommé « Frandar», qu'ils vénèrent, ou de la « Voie de l'épée », les gardes du navire s'entraînent à frapper de taille, d'estoc et à parer avec leur épée. À moins qu'ils n'échangent différents conseils sur l'entretien et l'aiguisage de leur épée : je crois que je commence à les cerner. Si les soldats rougegardes portent tout un arsenal – dont j'ai fait le croquis entre deux crises de mal de mer – un marin du nom de Wisr-al-Maeem m'a expliqué que l'épée d'un Rougegarde est le prolongement de son âme, et un symbole d'honneur. Ces hommes-là prennent plus de soin de leur épée qu'un nordique de son hydromel.
Je m'attendais presque à voir le roi Fahara'jad juché sur un palanquin, mais je m'étais juré de ne pas céder aux préjugés avant d'entrer dans le palais aux mosaïques. On me fit attendre plus de deux heures dans la salle d'audience, mais le roi me parut bien plus sympathique lorsque je me rendis compte qu'il donnait énormément de sa personne. Il résolut un différend à propos d'une source potable polluée par les excréments d'un troupeau en ordonnant qu'on abatte toutes les bêtes ou qu'on les déplace. Il confisqua la harpe d'un musicien accusé d'en jouer avant l'aube. Enfin, il me fit signe de m'approcher. « Soyez le bienvenu à Martelfell et dans notre foyer Flaccus Terentius .» Fahara'jad m'a rendu mes papiers. « Vous êtes un éclaireur ? Il vous faut des gourdes, peut-être ? Le désert d'Alik'r ne pardonne pas. Je vais vous expliquer, mon ami : donne ce mot à n'importe quel marchand et prend ce dont tu as besoin. » Quelle gentillesse ! Nous poursuivîmes cette conversation d'égal à égal, le roi ayant le bon goût de respecter mon titre d'Émissaire-érudit. Il m'invita à la cérémonie du mariage, prévu pour le lendemain. Sa plus jeune fille, la princesse Lakana, été fiancée au duc Nathanial de Château Alcaire. J'acceptai. Ce roi rusé semble vouloir renforcer son réseau d'alliances. La cérémonie s'acheva sur une impressionnante démonstration d'épées et de lumière, par une chantelame d'âge vénérable, puis on servit des fruits secs et l'on s'étendit sur de luxueux oreillers pour fumer l'herbe de tonnerre. C'est alors que j'aperçus une poignée de plumes hérissées. L'un des convives de Fahara'jad était un vizir des Couronnes de Rihad qui, après quelques coupes de vin de grenades corsées, décrivit l'Alliance de Daguefilante comme un « pacte de servitude par lequel notre roi si fourbe se prosternait aux pieds des seigneurs de Haltevoie. » Le vizir fut rapidement éconduit, mais son intervention montre bien que les nouvelles alliances contractées par le roi ne font pas l'unanimité.
Alors que les festivités se terminaient, je repérais un visage familier : un marchand impérial à qui j'avais adressé un signe lors de la cérémonie s'approcha de moi. Il me montra le registre qu'il tenait sous le bras, puis une porte latérale. Il était probablement venu pour une livraison de gourde. Je le suivis à l'intérieur, où nous pourrions discuter en toute discrétion. Il pointa du doigt le symbole d'Akatosh que masquait sa cape et murmura : « Je suis le chevalier affidé Maximian Memmius. Pourquoi ne vous êtes-vous pas présenté à Daguefilante ? » En proie à la plus grande confusion, écrasé par la chaleur ambiante, je ne répondis rien. «Euh… mes gourdes ? » demandai-je. « A Havreglace, vos gourdes ! » me répondit-il avec hargne. « Nous vous suivons à la trace depuis la scierie de Deleyn. Vous avez oublié le rendez-vous, ou quoi ? » « Écoutez, mon brave. » Je baissai la voix et pointai vers lui un index accusateur : « Je vous rappelle que vous vous adressez à l'Émissaire-érudit du régent ! J'exige qu'on me témoigne un minimum de respect ! » Il me repoussa violemment contre le mur du palais, la main contre ma trachée. Un jardinier argonien leva les yeux vers nous, puis repris précipitamment son travail. « Non, c'est toi qui vas m'écouter, sale petite nymphe ! Mon capitaine veut savoir pourquoi tu n'as pas envoyé de rapport sur Hauteroche. On prend du bon temps dans les tavernes et dans les palais des puissants, et on oublie sa mission ? » Il desserra son étreinte, conscient de ma confusion. Puis il s'empara de mon journal et le feuilleta sans ménagement, la mine renfrognée. Je lui intimai l'ordre d'en ménager le vélin. « Que les scorpions vous emportent, vous ». Sur ces mots, mon « ami » impérial me lança le guide, tourna les talons et partit précipitamment vers le port. Je l'aurais bien suivi, mais je me souvins que les quartiers pauvres n'étaient pas faits pour moi. Quelle était la mission de cet homme ? Plus important, quel était son problème ? Des rapports ? On m'a demandé de compiler un guide de voyage !
Avoir maille à partir avec un adepte pris de démence, c'est une chose, mais être malmené par un confrère, c'est une trahison ! J'en informerai le chancelier Tharn. Mais pour le moment, pas question de laisser une larve pourrie gâter ma tarte au scrib, comme on dit, d'autant qu'il me reste beaucoup de choses à voir et à peindre dans les rues animées de Sentinelle. L'architecture de cette ville est à couper le souffle ! Moi qui m'attendais à trouver des huttes vétustes, je découvris une guilde des guerriers empreinte de majesté et dotée de canaux fonctionnels faisant office de ventilation et isolant le bâtiment de la chaleur étouffante et des nuits sans nuage. Des maçons particulièrement habiles ont érigé ces monuments d'un royaume foncièrement étranger. Je n'écris pas ceci de gaieté de cœur, mais nos architectes auraient beaucoup à apprendre sur la circulation de l'air, ici. À Bravil, ma chambre est située un peu trop près des latrines du poste de garde à mon goût.
Au temple, l'office divin se terminait juste alors que j'apportais les dernières touches à la peinture de l'hôtel. Bon nombre de femmes portaient l'armure, mais d'autres avaient revêtu de longues robes avec lesquels jouait la légère brise marine de l'après-midi. Je m'efforçais de ne parler à personne. « Oh, quelle journée délicieuse. Votre beauté égalerait-elle votre capacité à manier une lame ? » demandais-je. La femme s'arrêta et nos regards se croisèrent. « Puissiez-vous atteindre sans encombre le but de votre voyage, mon ami en sueur, » répondit-elle avant de s'éloigner.
En descendant vers le port, où les majestueux navires marchands en provenance de Haltevoie et au-delà déchargeaient leur cargaison, je l'aperçus : il était aussi discret que les favoris d'une Nordique. Uwafa, ce sale réfugié de Daguefilante, cet adepte maléfique, était ici même, dans les rues de Sentinelle ! Mon estomac se souleva et mes joues s'empourprèrent de colère. Je m'arrêtai pour mieux vérifier qu'il s'agissait bien de lui. Pas de doute possible. Instinctivement, ma main se referma sur le pommeau de ma dague. Il fallait qu'Uwafa paie - déjà deux fois que nos chemins se croisaient. « Kidnappeurs ! » Marchands et villageois me dévisagèrent : je pointai frénétiquement du doigt en direction de l'homme à la cape noire puis m'élançai à sa poursuite. À me voir filer comme le vent, on eût dit que j'avais des trolls aux trousses. Uwafa m'avait repéré et il s'éloignait déjà, se faufilant avec la grâce d'un smilodon entre les étals du marché. Il s'engouffra dans une ruelle étroite et je l'y suivis en crachant son nom détestable entre deux inspirations. « Voleur ! » criai-je pour faire bonne mesure. Sous mes pieds, les dalles étaient noyées sous les eaux d'écoulement et je me frayai un passage entre les rigoles. J'émergeai dans une petite cour entourée de solides murs percés de meurtrières. Uwafa avait disparu. Je connaissais mal ce quartier de Sentinelle situé à l'écart des temples bruissants d'activité et de la foule. Debout dans cette cour, loin du cœur de la ville, je fus pris d'inquiétude. Je sentis une violente douleur à l'arrière du crâne et m'écroulai en avant dans un puits de ténèbres. Je regardais autour de moi, mais en vain. Je voulais pousser un cri, mais impossible de parler. Je tentais de desserrer mes liens, mais n'eus guère plus de chance. Je souffrais : du sang échappait de ma tête et coulait dans ma bouche. Je sentais contre mon corps la froideur de la pierre à laquelle j'étais ligoté. Je jetais un coup d'œil autour de moi – tout devenait enfin plus net. Des roses noires avaient été déposées de part et d'autre de mon corps. On avait allumé des torches de cérémonie. D'étranges silhouettes allaient et venaient derrière ces torches. Uwafa s'avança. « Normalement, il aurait fallu s'installer dans une grotte, près de Daguefilante », devisait-il. Pour toute réponse, je poussai un grognement étouffé. « Ah, vous êtes enfin réveillé. Bien. L'application du fer rouge est plus douloureuse encore si la victime se débat. » Je laissai échapper un juron étouffé. « Détendez-vous, Flaccus Terentius », répondit Uwafa. « L'heure n'est plus à la colère, pour vous. » Quelque chose s'agita derrière Uwafa. Un corps enveloppé dans des bandelettes de tissu si serrées qu'elles lui formaient une seconde peau était descendu de l'alcôve de sa crypte et nous regardait fixement de ses orbites vides. Uwafa adressa un hochement de tête à son serviteur puis me dit : « Vous n'avez pas entendu la nouvelle ? La nécromancie est une pratique légale dans l'empire… » Sa voix diminua de volume, comme s'il écoutait quelqu'un qui n'était pas avec nous. L'espace d'une fraction de seconde, j'eus une vision : le grand nécromancien Mannimarco que tout le monde avait en horreur. Uwafa déchira ma chemise et se saisit d'un tisonnier servant à marquer le bétail. Le tisonnier émettait une lueur bleue. « Pour commencer, vous porterez la Marque du Ver », énonça-t-il d'une voix douce en me caressant les cheveux. « Un petit échauffement avant le sacrifice ». Il appliqua le tisonnier contre mon torse. Ma peau se figea et se fendilla tandis que je me tordais de douleur sur l'autel, marqué à jamais du signe du Ver noir.
Des yeux sans vie assisteraient à mon sacrifice. Des cadavres pourris, enveloppés dans des bandelettes nauséabondes, sortirent de leurs sarcophages sur l'ordre de l'adepte du Ver. Cette fois, toute fuite était impossible. Des guerriers squelettiques morts depuis des siècles et arborant d'antiques armes et armures de Yokuda se joignirent à la foule. Les chants et le fracas des os qui s'entrechoquent s'intensifièrent… Du sang coulait devant mes yeux. Je devinai plus que je ne vis l'adepte brandir sa dague, avant qu'elle ne lui échappe des mains. Le visage d'Uwafa se déforma sous le coup de la colère. Une flèche avait transpercé son poignet, qu'il serrait convulsivement. Puis il disparut. J'entendis des cris et aperçus des formes couvertes de bandages se débattre en poussant des gémissements, trébucher et se consumer. Des rayons lumineux inondèrent la crypte. Des épées s'abattaient contre des boucliers poussiéreux et tranchait des os cliquetants. Plusieurs épées rougegardes tranchèrent mes liens. On m'aida à descendre de l'autel. Un crâne dont les dents claquaient encore me heurta le bras. Il se fracassa au sol près du corps décapité. Des arabesques d'acier et de magie d'incandescence massacrèrent les morts-vivants. Les momies se disloquèrent comme des mannequins d'entraînement. Les squelettes recevaient une pluie de coups d'épée trop rapides pour que l'œil puisse les suivre. Aveuglé par la lumière du jour, je sortis en chancelant du cimetière rougegarde en direction du quai des Ancêtres. Des herbes furent appliquées sur mes plaies et on rassembla les affaires. Avant d'être sauvé par les Ash'abah, jamais je n'avais vu de combats à l'épée à ce point virtuoses.
La marque du tisonnier me brûlait toujours. Je remerciai avec effusion mes sauveurs et espérais qu'ils me supporteraient encore un peu : il était impensable pour moi de rentrer à Sentinelle sans escorte. Ils acceptèrent, m'offrirent de l'eau, et nous nous enfonçâmes dans le désert. Mais au fil des heures, sous un soleil impitoyablement brûlant, je commençais à mettre en doute le plan consistant à voyager avec de dangereux exilés de la culture rougegarde. M'abandonneraient-ils si mes forces déclinaient ? Ma peau me démangeait sous cette chaleur insupportable, mais bottes étaient remplies de sable et je commençai à ralentir. Je demandai de l'eau : le sable ondulait et tanguait sous mes yeux. Ce n'était pas un malaise dû à la chaleur. Je poussai un cri perçant lorsque le sol se mit à écumer. Une crête dorsale blanche perça la dune. J'étais tout-à-coup face à une énorme gueule noire. Je me souviens avoir trébuché sur le côté tandis qu'un Ash'abah plantait sa lance dans la gueule de la créature. Le serpent géant à carapace, dont j'appris plus tard qu'il s'agissait d'un «tranchedune », poussa un rugissement avant d'être attaqué de tous côtés. Plusieurs épées transpercèrent la bête sous sa carapace et elle poussa un ultime soupir gémissant. Nous montâmes un camp improvisé et je badigeonnais le corps, qui commençait déjà à émettre une odeur nauséabonde. Dès lors, je pris la précaution de rester en permanence à l'abri, au milieu du groupe d'Ash'abah.
Cette créature a peut-être de courtes pattes, mais sa rapidité et fulgurante.
Nous nous enfonçâmes plus avant dans un tourbillon de chaleur indescriptible. Je restais au milieu de la colonne, et bien m'en prit. Car j'aperçus derrière une dune une gigantesque créature s'enfoncer rapidement dans le sable. Un vieillard qui s'était écarté de la colonne intenta vaillamment de parer le coup, mais la créature l'immobilisa de sa pince géante avant de l'empaler. Les chasseurs Ash'abah encerclèrent rapidement le scorpion géant de leur bouclier brandi droit devant eux, et une âme courageuse bondit pour immobiliser la queue du monstre avant qu'ils ne la taillent en pièces. Voici, pour la postérité, quelques croquis de la lutte qui s'ensuivit. Le vieillard a succombé à ses blessures, mais nous dégustâmes du ragoût de scorpion cette nuit-là.
Ne souhaitant pas utiliser les latrines rudimentaires du camp improvisé, un simple trou au-dessus duquel il faut s'accroupir, je m'aventurai dans une grotte située à proximité pour répondre à un besoin naturel et appliquer de la poudre sur mes irritations. Je repérai un coin approprié, terminai mon affaire et goûtai l'air frais sur mes joues. Alors que je me reboutonnais, j'aperçus la lueur d'une torche tout au fond de la grotte. D'étranges ombres se déplaçaient furtivement. J'entendis alors un chant empreint de mélancolie. Quelqu'un se lamentait dans une langue qui m'était inconnue. J'étais fasciné. J'avançais lentement, attiré par la voix comme une noctuelle ancestrale par un arbre du cantique. Une Ash'abah du nom de Barahar me barra la route. Elle connaissait le danger que représentait une Lamia et elle m'éloigna de force de sa belle mélopée. Après nous être bouché les oreilles à la cire de dreugh, nous retournâmes dans la grotte en passant par une anfractuosité située plus haut. Là, nous observâmes une Lamia en quête de proie. J'en fis un croquis. Je dessinais également quelques esquisses spéculatives de Lamias rôdant dans la jungle et dans des marais. Puis je rentrai au camp. Peu après, Barahar émergea de la grotte. Elle portait sur son dos la peau de la Lamia et tenait une fiole de venin.
Dans le silence du crépuscule, nous fîmes halte au mausolée situé en périphérie de Bergame. Les Ash'abah s'assirent en cercle, en tailleur, et chantèrent pendant qu'on lavait un guerrier de différentes huiles. « C'est un rituel de purification », me murmura Barahar, « avant que notre guerrier ne bannisse l'esprit-ancêtre en colère. » Je commençais à comprendre. C'était là la fonction des Ash'abah en ce bas monde : renvoyer les morts-vivants, la religion des Rougegardes leur interdisant de lever les armes contre leurs propres défunts. « Par le tranchant de ma lame ! » Le guerrier s'empara d'une longue lance et entra dans le mausolée. Une immense forme obscure et éthérée se matérialisa sous la forme d'un crâne, d'un capuchon de griffes reliées par un corps de néant. L'être poussa tout à coup un hurlement strident et lança un sortilège de glace en direction des Rougegardes. Les guerriers esquivèrent sans mal cette attaque et prononcèrent d'incompréhensibles incantations. Sa lance se mit à briller et il la lança dans le visage du spectre. L'esprit disparut dans une grande bourrasque de vent ; mais le travail ne manquerait pas pour les Ash'abah
Je n'arrive toujours pas à comprendre comment les éclaireurs impériaux ont fait pour passer à côté des colonnes rougegardes prospérant au sein du désert. Nous avons rencontré un nombre étonnamment élevé de Rougegardes vivant dans des villages rudimentaires. Au départ, bien sûr, les Ash'abah n'étaient pas les bienvenus ici, mais j'ai passé un peu de temps à dessiner des objets de leur vie quotidienne primitive, comme le récupérateur d'eau de pluie en forme de tentes plantées à l'envers et les aqueducs souterrains permettant de faire circuler l'eau. Je pris quelques échantillons de plantes grasses et croisai quelques chevriers. Cet endroit grouille de vie, il suffit de savoir où chercher.
Par endroits, on trouve d'antiques ruines elfiques à l'intérieur des terres. Les Rougegardes s'y aventurent pour y dérober des dépôts de malachite brute. J'ai vu un mineur ouvrir une géode que la dérive des dunes avait exposée au grand jour. On les récolte pour les joyaux et les cristaux qu'elles contiennent. Enfin ! J'en ai ma claque des créatures terrifiantes : on m'a certifié que je ne risquais plus rien une fois arrivé à Bergame, si ce n'est qu'on vide ma bourse. Apparemment, les marchands du coin pratiquent un commerce proche de l'extorsion pure et simple. Pour bien marquer, bien que cela puisse paraître comique, leur animosité, les Ash'abah ont établi leur campement à l'extérieur de la ville, derrière une dune. Ainsi, les habitants de Bergame peuvent prétendre qu'ils ne sont pas là. Ridicule ! Par chance, on ne me considère pas comme un paria et je suis autorisé à me promener en ville pour m'y ravitailler.
Les nombreuses fortifications extérieures de cette cité sont d'une beauté renversante. Le mur d'enceinte marie ornements et solidité, avec notamment de nombreuses fioritures telles que je n'en avais encore jamais vues. Comparées aux écuries nordiques, semblables à de solides granges de bois, les écuries rougegardes s'avèrent incroyablement opulentes tout en restant fonctionnelles. Les toits de tissus des pavillons peuvent se refermer lors des tempêtes de sable où s'ouvrir pour protéger les animaux du soleil. Tout cela sans gêner la ventilation. Comme c'est ingénieux ! Avant de me lancer dans le troc, il fallait que je repère une auberge. Les Ash'abah ont peut être une sainte horreur de toute boisson plus forte que le thé, mais je ne partage pas leurs réticences. En fait, je commandai même un puissant remontant pour me remettre des émotions de ces derniers jours. Je repérai vite un endroit agréable et optai pour un balcon, à l'étage. Alors que je laissais mon regard vagabonder entre les interstices du toit de toile, et se perdre dans la nuit étoilée, au-delà de Masser et Secunda, on m'apporta un pichet de vin de Grenade. Douce Mara, quel délicieux breuvage ! En fait, je ferais bien d'en commander un autre.
Une fois mon vin terminé, j'enfilai un talisman censé améliorer mes talents de marchandage et pénétrai avec assurance dans le marché de Bergame, où régnait une grande activité bien que la nuit fût tombée. Au milieu des bêlements de chèvres, des cris de marchands vêtus de robes, des odeurs de viande et d'encens, je commençai par m'arrêter au petit étal d'un forgeron pour refournir mon stock d'armes. Malgré mes efforts répétés, je fus incapable d'acheter quoi que ce soit. Je n'eus guère plus de succès chez l'herboriste : les herbes séchées, racines et poudres réactives que j'y achetais étaient deux fois plus chères qu'à Haltevoie ! Nouvel échec lorsque je voulus acheter des gourdes. Je n'en avais cure : je n'avais pas dépensé toute ma solde. Je poursuivis donc ma promenade et marchandai avec acharnement un assortiment d'authentiques moulins à prièreTu'whacca en peau de Lamia (qui n'avaient rien d'imitations argoniennes, à ce qu'on me dit). Il fallait également que je fasse l'acquisition de baguettes de radiesthésie magiques en vertèbres de tranchedune : le marchand m'offrit une garantie sans la moindre radiesthésitation ! C'était drolatique et nous rîmes à gorge déployée. Je remarquai alors une femme qui vendait de grandes outres de vin de grenade. D'humeur toujours aussi joyeuse depuis mon dernier repas, j'avais très envie de ce breuvage des plus délicieux. J'ai peut-être payé un peu plus que ce que j'aurais dû. Quelle idiot impulsif j'ai été ! Je rebouchai la bouteille dès que je m'aperçus que je portais une amulette permettant de marcher au fond des océans. Je me tenais peut-être un peu mieux, mais j'avais perdu toute crédibilité pour marchander efficacement quoi que ce soit. Pire encore, mon ivresse signifiait que j'avais été dépossédé sans vergogne de tout mon or alors que j'entrais en titubant dans une nouvelle merveille architecturale. Je ne pouvais rien faire d'autre que m'asseoir pour dessiner les tapis entrelacés en poil de chèvre, les urnes et les lanternes dorées et incrustées de joyaux, enfin les meubles d'un goût exquis. Je regrettai amèrement d'avoir dilapidé toutes les pièces des Ash'abah. C'est alors que l'une de mes baguettes de radiesthésie transperça mon outre de vin, tachant au passage un coûteux rouleau de soie. Je m'éclipsai discrètement avant que le marchand de soie ne se rende compte de quoi que ce soit.
Je réussis à justifier mes achats d'ivrogne devant les Ash'abah en leur expliquant que les troubles ayant récemment agité Tamriel avaient fait grimper les prix en flèche, et nous partîmes à l'aube pour le Trône de Tu'whacca. Barahar m'expliqua que la tribu était tenue de s'y rendre pour le rite annuel du Repos Royal scellant les rois et reines rougegardes dans leurs tombeaux et garantissant leur bonheur dans l'au-delà pour éviter qu'ils ne soient tentés de revenir sur terre et de reprendre le pouvoir. Du moins, en théorie. Le Trône de Tu'whacca s'avère être bien plus qu'un banal tombeau : c'est aussi un monument aux morts aux proportions stupéfiantes. Pas étonnant que ce rituel soit important : il y a assez de défunts enterrés là pour invoquer une ville entière de morts-vivants ! Tandis que les Gardiens du Trône se retiraient dans les ruines pour le rite qui durerait 36 heures, on m'arrêta à l'entrée pour me renverser un sac sur la tête et on ne laissa méditer dans l'enclos à chèvres. Apparemment les étrangers ne doivent pas assister à ces rituels. J'étais soulagé d'attendre là, malgré la forte odeur d'excréments. Des bribes de souvenirs datant de la dernière fois où l'on m'avait traîné dans un mausolée me revenaient à l'esprit et la marque sur mon torse se mit à me démanger.
Je dois reconnaître que le vin me donna l'assurance nécessaire pour retirer le bandeau que j'avais devant les yeux. Clignant des yeux à l'entrée de la nécropole, je remarquai qu'elle était vide. J'entrai et commençai immédiatement à reproduire les colonnades et les créneaux sur mon carnet. Lorsque j'eus rempli une page de magnifiques croquis, je poursuivis ma promenade et me retrouvai devant un mausolée. Il était gardé par deux statues de rois levant les bras comme en signe d'avertissement. Mais la porte était entrebâillée. La curiosité fut la plus forte et je me glissai à l'intérieur. Je fus immédiatement environné de ténèbres. Je poursuivis sur la pointe des pieds, les narines frémissantes dans l'air vicié. Puis je me figeai. Un frisson me transperça jusqu'à l'os. Une immense main glacée se posa sur mon épaule et la serra. Je laissais échapper un cri de terreur, plongeai la main dans ma sacoche, en sortie mon moulin à prières Tu'whacca authentique et en donnai un grand coup sur mon invisible assaillant. En proie à la terreur la plus abjecte, je me précipitai vers la fente de lumière, dépassai les statues de rois et filai vers l'enclos à chèvres. Un rapide coup d'œil par-dessus mon épaule confirma mes peurs : quelque chose m'avait suivi. Une créature enveloppée de ténèbres. Une silhouette indistincte qui refusait de se montrer sous son véritable jour. J'avais commis une erreur de jugement. Les Ash'abah sortir précipitamment du temple, leurs chasseurs suivant la créature de chaos noir qui s'était rapidement éloignée et semblait prêt à fondre sur le village le plus proche, la Lame de Leki. Le chef Marimah se tourna vers moi. « Vous êtes une catastrophe ambulante, vous ! Serait-ce Sep qui vous envoie pour tester notre foi ? » Je commençai à m'excuser, mais me tus quand une lame se pointa dans ma direction. « Vous avez réveillé l'esprit de Ra Boshek, le maléfique usurpateur. Vous tuer ne ferait qu'aggraver la colère qui monte en moi. Suivez-moi. » Shéogorath était d'humeur clémente, aujourd'hui. Au milieu de ce maelström de furie et de confusion, notre seule consolation était que la momie libérée empruntait une ancienne route commerciale, tandis que les Ash'abah connaissait un raccourci pour rejoindre plus rapidement la ville. À l'issue d'une longue marche éreintante dans les dunes, alors que le vent soufflait sa note unique et étouffait un léger murmure (on prononça mon nom, et d'autres choses peu aimables, d'une voix gutturale), nous aperçûmes la statue de l'épée qui avait donné son nom au village. Les Ash'abah avaient déjà commencé à évacuer la population de Rougegardes en direction d'une colline qui s'avérerait facile à défendre. Plusieurs prêtres de Marimah préparaient ce dernier pour un combat contre un revenant. Barahar dépassa le petit groupe de villageois et me lança d'un ton méprisant : « ce rituel exige le sacrifice de quatre moutons blancs. » Elle tendit la main pour me réclamer l'argent en question. Je lui offris l'un de mes authentiques moulins à prières : elle cracha à mes pieds. Je lui donnai alors un anneau d'or et attendis le début des hostilités. Une immense culpabilité me rongeait.
Marimah triompha des revenants. Des prêtres accoururent pour évaluer la gravité de ses blessures. Il les repoussa d'un signe de la main et enjamba les vêtements vides encore fumants et frémissants éparpillés sur le sable. Je crus sincèrement que j'allais rejoindre Ra Boshek dans un au-delà perdu, mais Marimah me fit signe de le suivre jusqu'à l'autel de Leki, où il rinça son visage trempé de sueur. Il me fit calmement remarquer en s'essuyant le front : " Vous avez eu un contact impur avec Ra Boshek. Vous n'êtes plus digne de rester avec nous. Quelques instants plus tard, les Ash'abah rassemblèrent les restes des revenants et disparurent de la Lame de Leki. Je dessinai sans conviction quelques carreaux de cérémonie et l'autel avant d'engager, penaud, un guide pour qu'il m'emmène jusqu'à la côte prendre un bateau pour Abondance. "Un paria de la tribu des parias ! Un exilé parmi les exilés !" J'esquissai un demi-sourire à Jack, le cocher, et lui intimai l'ordre de se taire. Plus tard, la marque sur ma poitrine devint brûlante et mes hurlements finirent par me réveiller : j'avais fait un cauchemar. J'eus une vision de vers rampant dans l'orbite vide d'un cadavre. Ils dévoraient sa bouche tandis que le corps sans vie tremblait violemment puis explosait. C'est alors que Mannimarco en personne fit son entrée. Il plongea la main dans ma poitrine, par la marque, et serra le poing. Je me tordis de douleur. Après quelques larmes vite réprimées, je me retrouvai dans le port et repris le contrôle de mes émotions. Après m'être procuré une ultime outre de vin de grenade, je montai à bord du ferry et jurai de ne plus jamais revenir.
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