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La Leçon de Tir | La Leçon de Tir |
Version du 14 février 2008 à 00:51
La Leçon de Tir
Par Alla Llaleth
Kelmeril Brin avait une opinion très tranchée sur la façon dont chaque chose devait être faite. Ainsi, chaque esclave nouvellement acheté était systématiquement fouetté dans la cour de sa propriété dès le jour de son arrivée, et ce pendant une à trois heures, selon son degré de rébellion. Le fouet utilisé était de cuir mouillé et doté de noeuds ; il faisait souvent couler le sang de ses victimes, mais ne laissait jamais de traces permanentes ou presque. A la grande satisfaction de Brin, la leçon portait à merveille et les esclaves se comportaient par la suite de manière à ne jamais encourir de punition.
Quand Brin acheta son premier esclave bosmer, il ordonna à son intendant de limiter la flagellation d'accueil à une heure seulement, sa nouvelle acquisition, qu'il avait nommée Dob, paraissant bien plus frêle que les esclaves khajiits, orques ou argoniens qui constituaient l'essentiel de son cheptel. Dob n'était pas assez musclé pour travailler dans les mines ou dans les champs, mais il semblait assez présentable pour officier à la propriété.
Il travaillait raisonnablement bien et sans se faire remarquer. Brin devait de temps en temps le corriger en le privant de repas, mais il était rarement nécessaire de devoir accroître la punition. Et les invités étaient tous impressionnés par cet esclave si exotique.
" Hé, toi, l'apostropha un jour Génétha Illoc, noble de bas statut de la Maison Indoril, alors qu'il lui offrait un verre de vin. Es-tu né esclave ?
- Non, sédura, répondit Dob en s'inclinant bien bas. Autrefois, je dévalisais les grandes dames telles que vous sur les routes. "
Tout le monde éclata de rire, mais Kelmeril Brin décida tout de même de vérifier cette histoire auprès du marchand d'esclaves auquel il avait acheté Dob. A sa grande surprise, il apprit que le Bosmer disait vrai. Il était autrefois bandit de grand chemin jusqu'au jour où, capturé, il avait été vendu comme esclave en guise de châtiment. Cela semblait impensable d'un individu aussi insignifiant que lui, qui baissait toujours les yeux en présence de ses maîtres. Brin décida donc de l'interroger plus avant à ce sujet.
" Tu devais bien être armé pour détrousser tous ces voyageurs, dit-il en regardant Dob faire la poussière.
- Oui, sédura, dit l'esclave humblement. J'avais un arc.
- Mais bien sûr ! On dit que vous êtes doués pour vous en servir, vous autres Bosmers. Alors, comme ça, tu serais un bon tireur ? "
Dob hocha modestement la tête.
" Dans ce cas, tu vas donner des cours de tir à l'arc à mon fils Wodilic ", décida le maître après un bref instant de réflexion.
Agé de douze ans, Wodilic avait été trop gâté par sa défunte mère. Il avait tellement peur de se couper qu'il était incapable de tenir une épée correctement. Son père en avait honte, mais sa personnalité s'accommoderait sans doute de l'utilisation de l'arc.
Brin chargea donc son intendant d'acheter un bel arc et plusieurs carquois de flèches, après quoi il fit disposer des cibles dans les champs, à proximité de la plantation. Les cours commencèrent quelques jours plus tard.
Dans les premiers temps, Brin assista aux leçons afin de s'assurer que Dob savait transmettre son art. Il constata avec plaisir que Wodilic apprit rapidement comment placer ses pieds et tenir l'arme. Mais, au bout d'une semaine, Brin fut rappelé à ses affaires. L'instruction de son fils se poursuivit, mais sans lui.
Il se pencha de nouveau sur le problème au bout d'un mois, alors qu'il faisait les comptes de la plantation avec l'intendant et qu'il en arrivait aux dépenses diverses.
" Il faudra également que tu voies combien de cibles doivent être réparées, ordonna-t-il.
- Je l'ai déjà fait, sédura, lui répondit l'intendant. Elles sont toutes en parfait état.
- Comment est-ce possible ? J'en ai vu voler en éclats au bout de quelques flèches. Il ne devrait plus rien en rester après un mois de leçons quotidiennes.
- Pourtant, aucune cible n'est trouée, sédura. Venez voir par vous-même. "
Le cours du jour n'était pas encore terminé. Brin traversa donc le champ et arriva au moment où Dob guidait le bras de Wodilic. Le garçon lâcha la corde, la flèche partit en direction du ciel et retomba derrière la cible. Brin alla examiner cette dernière. Comme indiqué par l'intendant, elle était encore en parfait état.
" Vous devez davantage tirer sur la corde, maître Wodilic, expliquait patiemment Dob. Et il faut poursuivre votre mouvement même après que vous l'avez relâchée. C'est essentiel si vous voulez que votre flèche prenne de la hauteur.
- De la hauteur ? intervint Brin. Et que fais-tu de la précision ? Mon fils n'a pas pour ambition de dépeupler le ciel de ses oiseaux, que je sache !
- Maître Wodilic doit d'abord apprendre à connaître son arme à la perfection, sédura. Après, et après seulement, nous nous préoccuperons de précision. Au Val-Boisé, nous apprenons à tirer dans toutes les conditions et à observer la trajectoire de nos flèches qu'il pleuve ou qu'il vente avant de tirer sur cible.
- Ne me prends pas pour un idiot ! s'emporta Brin, rouge de colère. J'aurais dû me douter qu'un esclave était incapable d'éduquer mon fils ! "
Attrapant Dob par le bras, il le poussa vers la maison. L'esclave s'y dirigea d'une démarche traînante. Wodilic essaya de lui emboîter le pas.
" Toi, tu restes ici et tu t'entraînes vraiment ! hurla son père. Et vise un peu la cible, pour une fois ! Tu ne rentreras pas à la maison tant que tu n'auras pas mis au moins une flèche dans le mille ! "
Le garçon en larmes reprit son arc tandis que Brin amenait Dob à la cour, criant pour qu'on lui apporte son fouet. Soudain, le Bosmer courut s'abriter derrière quelques tonneaux.
" Accepte ta punition comme un homme, esclave ! Je n'aurais jamais dû avoir pitié de toi le jour où tu es arrivé ! beugla Brin en fouettant le dos nu de Dob à plusieurs reprises. Je vais te tanner le cuir et tu vas voir, aucun risque que tu continues à te la couler douce, à l'avenir ! "
La voix de Wodilic leur parvint depuis l'autre bout du champ.
" Je n'y arrive pas, père !
- Le vent a changé, maître Wodilic ! cria Dob en luttant contre la douleur. Gardez le bras bien droit et visez légèrement à l'est !
- Arrête de dire n'importe quoi à mon fils ! Je vais t'affecter aux champs si tu ne meurs pas aujourd'hui ! Tu n'auras que ce que tu mérites !
- Mais je n'y arrive toujours pas, Dob ! geignit piteusement le garçon.
- Faites quatre pas en arrière, visez bien haut et droit vers l'est, maître Wodilic ! "
Quittant l'abri insuffisant conféré par les tonneaux, il courut se cacher sous un chariot mais, impitoyable, Brin le suivit sans cesser de le fouetter.
La flèche passa bien au-dessus de la cible, atteignant son apogée en limite du champ avant de retomber. Brin sentit un goût de sang dans sa bouche avant de se rendre compte qu'il était blessé. Sans y croire, il toucha du bout des doigts le trait fiché dans sa nuque. Alors que sa vision se troublait, il eut l'impression que Dob lui souriait. Et tandis que la vie le quittait, il eut la sensation qu'il n'avait plus un esclave terrifié devant lui, mais un bandit de grand chemin revanchard.
" Bravo, maître Wodilic ! s'écria Dob. En plein dans le mille ! "