Date de publication : 5/11/2020
Extrait d’un rapport de dame Nilène Deviéren, émissaire royale à la Crevasse
À la première semaine d’âtrefeu, je me suis rendue à Markarth pour négocier avec le Despote, Ard Caddach, au sujet des raids crevassais sur les frontières de Hauteroche. À mon arrivée, j’appris qu’avant de pouvoir défendre la position du Haut roi Émeric devant le Despote, je devrais d’abord convaincre sa conseillère en chef, dame Belain, d’organiser une rencontre. Heureusement, dame Belain accepta de m’écouter.
Avant de relater les détails de notre discussion, je dois expliquer la position de dame Belain à la Crevasse. En tant que confidente proche du Despote, elle n’est jamais loin de lui. Étrangement, personne ne semble savoir comment elle a pu obtenir une telle influence. D’après ce que j’ai constaté, elle est apparue à l’époque où Caddach dirigeait la ville comme gouverneur impérial de l’empereur Moricar. De nombreux étrangers défilaient à Markarth à cette époque ; dame Belain se présenta comme une noble brétonne issue d’une famille obscure, avec certains intérêts académiques et occultes dans la Crevasse. Elle s’installa dans les hauteurs de Markarth, accompagnée d’une poignée de serviteurs très discrets et de mobiliers de luxe importés de terres distantes.
Peu de temps après son arrivée, dame Belain commença à conseiller Caddach sur des affaires aussi bien arcaniques que diplomatiques. Elle se tailla bientôt une réputation par son instinct politique rusé. Ses douces paroles et sa subtilité lui permettent de tempérer la dureté du Despote. Les habitants de Markarth la qualifient de « sorcière du fort » de Caddach. Les sorcières sont très respectées par les Crevassais, mais dans le cas de Belain, le terme n’est pas entièrement élogieux. J’ai appris que les « sorcières de fort » sont considérées comme des êtres politiques avant tout. Pour la plupart des Crevassais, les sorcières devraient s’occuper d’esprits et d’éléments. Les sorcières qui restent près d’un trône n’inspirent que la méfiance.
Ma conversation avec dame Belain commença par les formules de politesse habituelles. Elle s’enquit de mon voyage, puis me demanda si j’étais à l’aise dans les quartiers que j’avais trouvés à Markarth. À vrai dire, je fus surprise de cette conversation. Lors de mes précédentes venues à Markarth, aucun Crevassais n’avait témoigné la moindre sollicitude pour mon confort. Mais cette fois, je prenais le thé avec une dame de la haute société.
Au moment opportun, j’orientai la conversation vers le message du Haut roi. « Je vous remercie pour votre accueil, ma dame, mais je dois à présent en venir à la raison de ma visite. Les déprédations de la secte de Sangrépine en Glénumbrie et des Témoins noirs de Sangloth sont tout simplement intolérables. Le Haut roi désire la paix à ses frontières, mais lorsque les Crevassais pillent nos villes et brûlent nos fermes, il ne peut y avoir aucune paix. On me dit que vous avez l’oreille d’Ard Caddach. Pourrez-vous le convaincre de retenir ces clans sauvages, avant qu’ils ne nous entraînent dans une guerre que personne ne désire ? »
Dame Belain considéra ma question un long moment. Je remarquai qu’elle était tout à fait inhabituelle ; assez jeune pour qu’on la considère d’une grande beauté, ses yeux semblaient pourtant contenir une profonde sagesse.
— La Sangrépine et les Témoins noirs sont effectivement un problème, finit-elle par répondre. Mais l’ard ne leur demandera rien de ce qui rassurerait le Haut-Roi. Caddach ne peut pas paraître répondre aux ordres d’Émeric.
— Ma dame, je me dois d’au moins essayer, protestai-je. Vous pouvez certainement faire quelque chose.
Belain me considéra à nouveau de ses yeux sombres et profonds.
— Si Émeric portait un coup puissant contre les clans qui harcèlent votre frontière, ils demanderont de l’aide à Ard Caddach. Cela lui permettra de leur proposer sa protection. Ce qui les placera sous son emprise.
Je fronçai les sourcils, incertaine.
— Vous nous conseillez d’attaquer votre peuple ?
— Je ne vous conseille rien, corrigea dame Belain. Je vous dis simplement ce qui se passera si vous décidez d’attaquer.
— Cela ne nous aide guère. Je suis venue parce que le Haut roi Émeric espère éviter les combats.
— Oh, mais il n’est pas question des troubles de cette saison, rappela dame Belain. Cela mettrait fin à ces troubles pendant des années. Si tel est le désir de votre roi, il se rendra compte que le plus sage sera de renforcer la position d’Ard Caddach. Au lieu d’être face à une dizaine de clans intraitables, il pourrait parler à un seul roi de la Crevasse. Aider Ard Caddach sert vos intérêts.
J’y réfléchis, et son opinion paraissait tout à fait raisonnable, si attirante même que ma mission faillit se terminer là. Je m’imaginai rentrer à Haltevoie pour expliquer l’intelligence du plan de dame Belain, savourant d’avance les compliments que je recevrais pour avoir ramené cette solution. Mais la graine obstinée du doute s’attardait dans mon esprit.
— Cela se peut, ma dame, parvins-je à dire. Mais mon roi m’a confié de transmettre ses paroles au despote de Markarth. Je ne peux partir sans l’avoir fait.
Le regard de dame Belain lança des éclairs, et je sentis qu’il ne serait pas avisé de la contrarier. Une présence menaçante s’agite derrière cet extérieur bienveillant, j’en suis certaine. Alors même que je me renfonçais dans mon fauteuil, elle me sourit :
— Eh bien, dans ce cas, je vais m’arranger pour vous présenter Ard Caddach. Il grommellera, minimisera vos inquiétudes et ne vous fera aucune réponse. Ensuite, venez me voir. Je vous aiderai à trouver une façon de l’expliquer à votre Haut roi. »
Troublée par ses paroles, je pris bientôt congé. Deux jours plus tard, ma conversation avec le Despote de Markarth se déroula exactement comme dame Belain l’avait prédit. Mais au lieu de retourner voir la sorcière, je décidai d’écrire ce rapport pour vous l’adresser.
Car je ne sais dans quel état d’esprit je me trouverai une fois que j’aurai revu dame Belain.
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