Le Récit Argonien, Livre IV : Différence entre versions

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A moitié immergée dans l'eau devant eux se trouvait une montagne d'épines allongée sur des griffes de neuf pieds de long. Des yeux blancs regardaient fixement devant eux. Et puis soudain la créature fut prise d'un spasme et fit un écart brusque, sa mâchoire ouverte révélant des défenses tachées de sang.
 
A moitié immergée dans l'eau devant eux se trouvait une montagne d'épines allongée sur des griffes de neuf pieds de long. Des yeux blancs regardaient fixement devant eux. Et puis soudain la créature fut prise d'un spasme et fit un écart brusque, sa mâchoire ouverte révélant des défenses tachées de sang.
  
- Un [[léviathan des marais]], siffla Shehs, visiblement impressionné. Très, très dangereux.
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Scotti hoqueta en se demandant pourquoi l'Agaceph était aussi calme et surtout pourquoi il continuait à diriger le radeau dans la direction du monstre.
 
Scotti hoqueta en se demandant pourquoi l'Agaceph était aussi calme et surtout pourquoi il continuait à diriger le radeau dans la direction du monstre.

Version du 21 septembre 2011 à 12:53

Le récit argonien, livre 4

Par Waughin Jarth

Decumus Scotti était en train de se noyer et cela ne lui importait guère. Il ne pouvait bouger ni les bras ni les jambes pour nager du fait du sort de paralysie que le paysan argonien lui avait lancé, mais il ne s'enfonçait pas vraiment dans l'eau. La rivière Onkobra était un tourbillon bouillonnant d'eau blanche et de courants puissants capables de faire flotter de gros rochers. Scotti fut emporté cul par-dessus tête, tournoyant et rebondissant au fil du courant.

Il songea qu'il serait bientôt mort et que c'était préférable au fait de se trouver dans le Marais noir. Il ne se sentit pas paniquer outre mesure lorsque ses poumons se remplirent d'eau et que les ténèbres froides s'abattirent sur lui.

Pendant un moment, pour la première fois depuis longtemps, Decumus Scotti se sentit en paix. Ténèbres bénies. Et puis la douleur revint et il se sentit tousser, vomissant de l'eau hors de son estomac et de ses poumons. Une voix se fit entendre :

- Bon sang, il est vivant, on dirait, non ?

Scotti n'était pas sûr que ce soit vrai, même lorsqu'il ouvrit les yeux pour contempler le visage qui flottait au-dessus de lui. C'était un Argonien, mais différent de tous ceux qu'il avait pu voir auparavant. Son visage était fin et aussi long qu'une lance épaisse ; ses écailles étaient d'un rouge rubis luisant sous le soleil. La chose cligna des yeux au-dessus de lui : ses paupières s'ouvraient et se fermaient verticalement.

- J'imagine qu'on ne devrait pas te manger à présent, n'est-ce pas ? sourit la créature.

A la vue de sa dentition, Scotti comprit que la suggestion n'était pas purement rhétorique.

- Merci, articula-t-il péniblement.

Il leva légèrement la tête pour essayer de savoir qui se cachait derrière ce "on". Il découvrit qu'il était sur la rive humide de la rivière paisible et boueuse, encerclé par un groupe d'Argoniens aux visages en lame de couteau dont les écailles constituaient un véritable arc-en-ciel. Des verts lumineux, des violets brillants comme des gemmes, des bleus, des orange.

- Pouvez-vous me dire si je suis près... heu... de n'importe où ?

L'Argonien couleur de rubis se mit à rire.

- Non. Tu es au milieu de partout et près de nulle part.

- Oh, répondit Scotti qui avait saisi l'idée que l'espace ne signifiait pas grand-chose dans le Marais noir. Et qu'êtes-vous ?

- Nous sommes des Agacephs, répondit l'Argonien rubis. Je m'appelle Nomu.

Scotti se présenta :

- Je suis l'un des commis principaux de la commission à la construction du seigneur Vanech, à la Cité impériale. Mon travail consistait à venir ici pour régler les problèmes liés au commerce, mais j'ai perdu mon ordre du jour, je n'ai rencontré aucun de mes contacts, les Archéens de Gideon...

- Kleptocrates esclavagistes, pompeux et serviles..., murmura avec émotion un petit Agaceph jaune citron.

- ... et à présent je veux simplement rentrer chez moi.

Nomu sourit. Sa large bouche s'étira vers le haut avec l'expression d'un hôte qui contemple avec plaisir le départ d'un invité importun.

- Shehs va te guider.

Shehs s'avéra être la petite créature jaune et amère et il ne se montra guère enchanté par la mission qui venait de lui échoir. Avec une force surprenante, il remit Scotti debout et, pendant un instant, le souvenir de Gemullus le lâchant au milieu de la boue bouillonnante qui conduisait à l'express souterrain lui revint en mémoire. Au lieu de quoi Shehs poussa Scotti vers un minuscule radeau, aussi mince qu'un rasoir, qui flottait à la surface de l'eau.

- C'est ainsi que vous voyagez ?

- Nous ne disposons pas des chariots brisés et des chevaux mourants de nos frères à l'extérieur, répliqua Shehs en levant les yeux au ciel. Nous sommes des arriérés.

L'Argonien s'assit à l'arrière de l'esquif et entreprit de propulser et diriger le radeau en utilisant sa queue pareille à un fouet. Ils voyagèrent rapidement, contournant des mares boueuses dont l'odeur évoquait des siècles de putréfaction, évitant des montagnes immenses qui paraissaient solides mais s'écroulaient brusquement à la moindre ride dans l'eau, passant sous des ponts qui avaient autrefois pu être en métal mais n'étaient plus désormais constitués que de rouille.

- Tout en Tamriel finit par atteindre le Marais noir, annonça Shehs.

Tandis qu'ils glissaient sur les eaux, Shehs expliqua à Scotti que les Agacephs étaient l'une de nombreuses tribus argoniennes vivant à l'intérieur de la province, près de l'arbre à hist, et qui ne trouvaient pas grand intérêt au monde extérieur. Les Nagas, les Paatrus à l'apparence de crapauds ou les Sarpas ailés l'auraient abattu à vue.

Il y avait d'autres créatures qu'il était préférable d'éviter. Bien qu'il y ait peu de prédateurs naturels au sein du Marais noir, les charognards qui hantaient les détritus ne dédaignaient pas s'attaquer à un repas encore en vie. Des entaillailes volaient en cercle au-dessus d'eux, identiques à ceux que Scotti avait aperçus à l'ouest.

Shehs se tut et immobilisa entièrement le radeau. Il attendait quelque chose. Scotti regarda dans la direction que surveillait Shehs sans rien apercevoir d'inhabituel dans l'eau sale. Puis il réalisa que la flaque de limon vert devant eux était en train de se déplacer, et assez rapidement, d'une rive vers l'autre. Elle laissa de petits os derrière elle tandis qu'elle grimpait la rive en suintant, avant de disparaître au milieu des roseaux.

- Voriplasme, expliqua Shehs en faisant repartir l'esquif. Un grand mot. Le temps que tu prononces la deuxième syllabe, il t'aurait déjà dévoré jusqu'aux os.

Scotti, désireux d'oublier un peu les visions et les odeurs répugnantes qui l'entouraient, saisit l'occasion de complimenter son pilote sur son excellent vocabulaire. C'était particulièrement impressionnant, étant donné à quel point l'endroit était éloigné de la civilisation. Les Argoniens à l'est, de fait, ne parlaient pas toujours aussi bien.

- Ils ont tenté d'ériger un temple de Mara près d'ici, à Umphollo, il y a vingt ans, expliqua Shehs.

Scotti hocha la tête. Il se souvenait d'avoir lu quelque chose à ce sujet dans les dossiers avant qu'ils ne soient perdus.

- Ils sont tous morts d'une façon affreuse des suites de la pourriture du marais durant le premier mois, mais ils ont laissé d'excellents livres derrière eux.

Scotti était sur le point d'approfondir la question lorsqu'il vit quelque chose de si énorme et de si horrible qu'il s'arrêta net, comme paralysé. A moitié immergée dans l'eau devant eux se trouvait une montagne d'épines allongée sur des griffes de neuf pieds de long. Des yeux blancs regardaient fixement devant eux. Et puis soudain la créature fut prise d'un spasme et fit un écart brusque, sa mâchoire ouverte révélant des défenses tachées de sang.

- Un léviathan des marais, siffla Shehs, visiblement impressionné. Très, très dangereux.

Scotti hoqueta en se demandant pourquoi l'Agaceph était aussi calme et surtout pourquoi il continuait à diriger le radeau dans la direction du monstre.

- De toutes les créatures au monde, les rats sont parfois les pires, annonça Shehs.

C'est à ce moment que Scotti remarqua que la créature n'était plus qu'une carcasse. Ses mouvements provenaient des rats qui s'étaient enfoncés en elle avant de se frayer un chemin à l'intérieur à coups de dents. Par endroits, certains ressortaient même au milieu des chairs putréfiées.

- Très juste, dit Scotti tandis que les dossiers du Marais noir lui revenaient à l'esprit, quarante ans de travail d'Impériaux, ensevelis dans les profondeurs boueuses.

Les deux compagnons continuèrent vers l'ouest à travers le coeur du Marais noir. Shehs fit découvrir à Scotti les ruines immenses et complexes des capitales kothringiennes, des champs de fougères et d'herbe en fleur, des ruisseaux tranquilles sous une canopée de mousse bleue et, la vision la plus incroyable que Scotti ait jamais vue de toute sa vie, la grande forêt d'arbres à hist en pleine maturité. Ils ne rencontrèrent âme qui vive jusqu'au moment où ils atteignirent les abords de la route commerciale impériale, juste à l'est de la pointe du marais, où Mailic, le guide rougegarde de Scotti, attendait patiemment.

- J'allais vous donner deux minutes de plus, grogna le Rougegarde en laissant tomber le reste de son repas sur la pile de détritus à ses pieds. Pas une de plus, messire.

Le soleil brillait lorsque Decumus Scotti fit son entrée dans la Cité impériale. En se réfléchissant sur la rosée matinale, ses rayons conféraient au moindre bâtiment une patine brillante, comme si les maisons avaient été récemment astiquées pour célébrer le retour du commis. Il fut surpris de voir comme la ville était propre et les mendiants peu nombreux.

Le long bâtiment de la commission à la construction du seigneur Vanech était fidèle à lui-même, mais le simple fait de le revoir le fit paraître étrange et exotique aux yeux de Scotti. Il n'était pas couvert de boue. Les gens à l'intérieur, d'une manière générale, travaillaient réellement.

Le seigneur Vanech en personne, quoique singulièrement trapu et affligé d'un strabisme prononcé, paraissait immaculé. Non seulement son corps était dénué de crasse et de croûtes, mais il paraissait même ne pas être particulièrement corrompu. Scotti ne put s'empêcher de fixer longuement son patron lorsqu'il le rencontra. Vanech lui rendit son regard.

- Votre apparence, c'est quelque chose ! grogna le petit homme en fronçant les sourcils. Votre cheval vous aurait-il fait faire l'aller-retour jusqu'au Marais noir en vous traînant dans la poussière ? Je vous dirais bien de rentrer chez vous pour arranger tout ça mais il y a une douzaine de personnes ici qui veulent vous voir. J'espère que vous aurez des solutions à leur proposer.

Ce n'était pas une exagération. Près de vingt parmi les individus les plus influents et les plus riches de Cyrodiil l'attendaient. Scotti se vit confier un bureau plus grand que celui du seigneur Vanech et il les reçut chacun à leur tour.

Les premiers clients de la commission étaient cinq marchands indépendants, très remontés et les poches pleines d'or, exigeant de savoir ce que Scotti avait l'intention de faire pour améliorer les routes commerciales. Scotti leur résuma l'état des routes principales, la situation des caravanes de marchands, les ponts engloutis et tous les autres obstacles qui s'élevaient entre la frontière et les clients potentiels. Ils lui dirent de tout faire réparer ou remplacer et lui donnèrent l'or nécessaire pour ce faire.

Dans les trois mois qui suivirent, le pont de la pointe du marais avait disparu dans la boue, la grande caravane était tombée en décrépitude et la route principale depuis Gideon avait été entièrement avalée par l'eau du marais. Les Argoniens recommencèrent à utiliser les anciennes voies, leurs radeaux personnels et, parfois, l'express souterrain pour transporter le grain en petites quantités. Cela prit trois fois moins de temps, soit deux semaines, pour qu'il arrive à Cyrodiil, sans que rien n'ait pourri.

L'archevêque de Mara fut le client suivant que Scotti rencontra. En homme bon, il était horrifié par les histoires de mères argoniennes vendant leurs enfants pour en faire des esclaves. Il demanda franchement à Scotti si c'était la vérité.

- Malheureusement oui, répondit Scotti.

L'archevêque l'ensevelit sous les pièces d'or en indiquant au commis que de la nourriture devait être fournie à la province afin d'apaiser les souffrances des habitants et que les écoles devaient être améliorées afin qu'ils apprennent à se prendre en main par eux-mêmes.

Moins de cinq mois après, le dernier livre avait été volé dans le monastère déserté de Mara à Umphollo. Comme les Archéens s'étaient retrouvés ruinés, les esclaves retournèrent au sein des minuscules fermes de leurs parents. Les Argoniens du marigot s'aperçurent qu'ils pouvaient produire suffisamment pour nourrir leurs familles tant qu'ils disposaient de travailleurs durs à la tâche dans leur enclave et la demande en matière d'esclaves déclina rapidement.

L'ambassadeur Tsleeixth, inquiet quant à l'augmentation du crime dans le nord du Marais noir, apporta avec lui les contributions d'un grand nombre d'expatriés argoniens tels que lui. Ils demandaient des gardes impériaux sur la frontière autour de la pointe du marais, plus de lanternes magiques postées à intervalles réguliers le long des routes principales, plus de postes de patrouille et plus d'écoles construites afin de permettre aux jeunes Argoniens de s'instruire et de ne pas se tourner vers le crime.

Dans les six mois, plus aucun Naga n'arpentait les routes, car il n'y avait plus de marchands à dévaliser. Les bandits s'en retournèrent vers l'intérieur fétide du marais, où ils se sentaient bien plus à leur aise, leur constitution enrichie par la pourriture et la pestilence qu'ils affectionnaient tant. Tsleeixth et son entourage furent tellement satisfaits de la baisse de la criminalité qu'ils apportèrent encore plus d'or à Decumus Scotti en lui demandant de continuer ses efforts.

Le Marais noir était, est et sera toujours dans l'incapacité de faire perdurer une économie d'exploitation de grande envergure. Les Argoniens, et n'importe qui d'autre, tout Tamriel, pourraient vivre dans le Marais noir sur la base d'une exploitation minimale, en faisant pousser uniquement ce dont ils auraient besoin pour vivre. Ce n'était pas là une triste réalité, songea Scotti, mais une source d'espoir.

La solution de Scotti avait été la même pour chacun de leurs dilemmes. Dix pour cent de l'or qu'ils lui remettaient allaient dans les caisses de la commission du seigneur Vanech. Scotti gardait le reste pour lui-même, et ne faisait absolument rien de ce qu'on lui demandait.

Moins d'un an plus tard, Decumus Scotti avait détourné suffisamment d'argent pour prendre une très confortable retraite et le Marais noir était plus florissant qu'il ne l'avait jamais été en quarante ans.