La Mélodie du Poison, livre VII
Média d'origine : TES 3 : Morrowind
Par Bristin Xel
Depuis le haut des remparts de Barysimayn, Triffith inspectait le volcan. De là où il se tenait, les métaphores des poètes lui semblaient bien pauvres. Certes, des termes tels que " plaie purulente " et " souverain des cendres " étaient tout à fait appropriés, compte tenu des lentes coulées de lave qui s'en échappaient constamment, et de la perpétuelle couronne de fumée qui entourait son sommet. Et pourtant, aucun nom, aussi grandiloquent fut-il, ne parvenait à véhiculer la majesté de cette montagne. Bien que distant de plusieurs kilomètres, le mont Ecarlate emplissait tout l'horizon du général. Avant de se sentir écrasé par un tel spectacle, il entendit qu'on le hélait. Qu'il était rassurant de songer qu'il possédait encore une certaine influence, bien qu'il parût si insignifiant par rapport au volcan. " Général Indoril-Triffith, l'appela le commandant Rael. Il y a un problème à la porte Est. " Un problème ? Plutôt une brève échauffourée. Un Cendrais, sans doute aviné, avait joué des poings contre les gardes. Lorsque les hommes d'armes avaient tenté de le repousser, les cousins de l'homme s'étaient joints à lui et l'altercation avait dégénéré en bagarre générale impliquant une demi-douzaine de Cendrais et deux fois plus de soldats. Tout se serait fini en quelques instants si les Cendrais n'avaient pas été armés jusqu'aux dents. Mais quand le général arriva avec des renforts, deux Cendrais étaient morts et les autres avaient fui. " C'est la fumée qui leur monte à la tête ", expliqua Rael en haussant les épaules. Triffith remonta l'escalier et se rendit à ses quartiers pour se changer en prévision du repas. Le général Rédoran-Vorilk et le conseiller Hlaalu-Nothoc arriveraient sous peu afin de discuter de la proposition de réorganisation des Maisons de Morrowind, avancée par le Temple. La cité de Longsanglot devait être rebaptisée Almalexia. Une grande cité devait être bâtie en l'honneur de Vivec, mais avec quel or ? Tout cela lui donnait la migraine. Il y avait tant de détails à régler qu'il s'attendait à une longue nuit de discussions, de menaces et de compromis. Il était si préoccupé qu'il faillit mettre sa robe officielle à l'envers. Il ne remarqua pas non plus la silhouette qui sortait de derrière la tapisserie où elle se cachait pour aller fermer la porte de la chambre. Ce n'est que lorsqu'il entendit le bruit de la targette qu'il se retourna. " Tu es entré pendant que j'étais accaparé par la rixe de la porte est, n'est-ce pas ? fit-il sans se désemparer. Astucieux, Tay. A moins que tu ne te fasses appeler Dagoth-Tython, désormais ? - Vous êtes bien placé pour connaître tous mes noms, cracha le jeune homme en dégainant son épée. Je me nommais Tython avant que vous ne massacriez ma famille et je suis devenu Tay quand vous m'avez amené chez vous pour me retourner contre les miens. Mais aujourd'hui, vous pouvez m'appeler Vengeance. " On frappa à la porte, mais les deux hommes ne se quittèrent pas des yeux. Le nouvel arrivant se fit plus insistant. " Vous allez bien, général ? Il y a un problème ? - Si tu as l'intention de me tuer, je te conseille de te hâter, lâcha Triffith. Mes hommes auront enfoncé cette porte dans moins de deux minutes. - Ne me dites pas ce que j'ai à faire, mon oncle. Le chant de mes ancêtres me guide et me dit que vous avez forcé mon père à vous supplier de l'épargner avant de le tuer. Je veux vous voir en faire autant. - Si tes ancêtres sont si forts, pourquoi sont-ils tous morts ? " railla Triffith Tython avança vers lui en poussant un grognement qui n'avait rien d'humain. La porte se mit à trembler sur ses gonds, mais les coups d'épaules des gardes ne suffirent pas à l'enfoncer. Le général s'était manifestement montré trop optimiste en pensant que les renforts arriveraient dans moins de deux minutes. Les assauts des soldats cessèrent brusquement, pour être remplacés par une voix familière. " Ecoute-moi, Tay ! - Tu arrives juste à temps pour entendre ton oncle me supplier de lui laisser la vie sauve, cousine, siffla Tython, en reconnaissant Baynara. Et moi qui craignais que tu n'arrives trop tard. Le prochain bruit que tu entendras sera le râle d'agonie de l'homme qui a réduit ma Maison en esclavage. - Si tu es esclave, c'est du chant de tes ancêtres, pas d'oncle Triffith. Tu ne peux pas faire confiance à la mélodie, Tay. Elle t'empoisonne l'esprit et c'est à cause d'elle que tu as été manipulé, d'abord par cette vieille folle, et aujourd'hui par cette sorcière d'Acra, qui se dit ta soeur. " Tython pressa la pointe de son épée contre la gorge de Triffith. Le général recula d'un pas et son bourreau avança d'autant. Ses yeux ne quittaient pas la lame de son arme. L'anneau d'argent de Dagoth se mit à luire d'un éclat écarlate, réfléchissant le rougeoiement du volcan entrant par la fenêtre. " Ne fais plus de mal à personne, Tay, poursuivit Baynara en retenant ses sanglots afin que sa voix reste compréhensible de l'autre côté du battant. Je t'en prie. Ecoute-moi quelques instants au lieu de suivre les ordres de la mélodie et tu verras que j'ai raison. Je t'aime. " A cet instant, la jeune femme entendit du bruit dans l'escalier. Les gardes du général revenaient avec un bélier. La porte vola en éclats en deux coups. A l'intérieur, le Triffith se tenait la gorge en regardant par la fenêtre. " Mon oncle ! Ça va ? " demanda Baynara en se précipitant vers lui. Il hocha la tête, ôtant sa main afin de lui montrer qu'il avait juste reçu une égratignure. " Où est Tay ? voulut savoir sa nièce. - Il a sauté par la fenêtre, répondit le vieil homme en montrant du doigt un cavalier qui se dirigeait à bride abattue vers le volcan. J'ai cru un instant qu'il cherchait à se suicider, mais il avait tout prévu. - Nous l'aurons, serjo général ", garantit le commandant Rael en ordonnant aux gardes d'aller chercher leurs montures. Baynara les regarda partir, puis embrassa rapidement son oncle sur la joue avant de courir vers son propre guar, qui l'attendait dans la cour. Le corps de Tay ruisselait de sueur alors qu'il se rapprochait du sommet du mont Ecarlate. Sa monture éprouvait des difficultés à respirer et son allure s'en ressentait. Finalement, il décida de continuer seul et, mettant bien à terre, il se mit à gravir la paroi presque verticale. Les cendres qui environnaient en permanence le volcan lui piquaient les yeux. Il poursuivit sa route, aveuglé, faisant tout son possible pour chasser de son esprit les notes envoûtantes de la mélodie. Un geyser de lave jaillit à moins de deux mètres de lui et il sentit ses chairs se craqueler sous l'effet de la chaleur. Se retournant brusquement, il vit une silhouette émerger de la fumée. Baynara. " Qu'est-ce que tu fais, Tay ? cria-t-elle pour se faire entendre malgré le rugissement du volcan. Je t'ai dit d'arrêter d'écouter la mélodie ! - Pour une fois, nous désirons la même chose, elle et moi ! Je ne peux te demander de me pardonner, mais essaye au moins d'oublier ce que j'ai fait ! " Il repartit de plus belle, échappant au champ de vision de Baynara. La jeune femme hurla son nom et reprit elle aussi son ascension, jusqu'à arriver au bord du cratère. Un épais panache de fumée toxique en sortait et elle tomba à genoux, le souffle court. Tay se tenait à quelques mètres d'elle, à la verticale de la lave ; ses cheveux et ses vêtements avaient déjà pris feu. Il se tourna vers elle une fraction de seconde, lui sourit... Et sauta. Baynara effectua la longue et dangereuse descente sans savoir ce qu'elle faisait. Afin de chasser les brumes qui envahissaient son esprit, elle se força à penser aux semaines à venir. Le manoir familial était-il suffisamment pourvu en provisions pour accueillir comme il se doit le conseil des Maisons ? Les divers représentants resteraient longtemps, sans doute plusieurs mois. Il y avait tant à faire pour les recevoir. Peu à peu, elle se mit à oublier la scène à laquelle elle venait d'assister. Cela ne durerait pas, mais c'était déjà un début. Dagoth-Acra se tenait aussi près de la gueule du volcan que possible, compte tenu de la chaleur. Ruisselante de sueur, elle clignait des yeux à répétition afin de chasser les gouttes de transpiration qui brouillaient sa vision. Elle chercha quelques instants avant de se fendre d'un large sourire. La bague d'argent de la Maison Dagoth gisait là, par terre ; Tython avait tant transpiré qu'elle lui avait échappé. Ramassant le bijou, elle le glissa à son doigt. Et, posant la main sur son ventre où une vie nouvelle était en train de germer, elle entendit enfler le nouveau refrain de la mélodie du poison de Morrowind.
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