La pierre-mémoire de Némon
Texte de développeur Auteur réel : Douglas Goodall Date de publication : 2023 Média d'origine : Morrowind - AFFresh Commentaire : traduction communautaire
Par Nemon, circa 1E 2260
Vous êtes un soldat, et vous êtes sur une plage. Non, vous n'êtes qu'un pêcheur. Et une plage n'est pas glissante. Une plage ne brûle pas. Vous savez que quelque chose ne va pas. Cette perle dans votre main, dont le film part en morceaux ? Non, non, pas ça. Quelque chose dans votre autre main ? N'y pensez pas. Attendez juste que cette lumière froide et palpitante arrive ici. Ca fait mal de la regarder, mais vous ne pouvez en détourner le regard. Ressentez juste les vagues caresser vos pieds, comme quand... Vous êtes un enfant assis sur la plage tandis que votre père prépare la péniche. Vous êtes impatient d'y aller à nouveau, fraîchement amoureux de la mer. Il y a une douce brise d'automne derrière vous, portant les senteurs de pain de palmier et d'épice de ronce. Votre père vous montre comment déployer la voile. "Ceci s'appelle l'accroc du serpent. Regarde. Le serpent passe autour de la tige, puis deux fois autour de lui-même, puis à travers lui-même, et une seconde fois à travers lui-même. Tu vois ? Tire dessus. Plus fort. Plus tu tires dessus, plus il se resserre. Maintenant, voilà comment le desserrer. Est-ce que tu écoutes ?" Vous hochez la tête en réponse à votre père, mais vous prêtez plus attention à la sensation du couteau dans son fourreau qui s'enfonce dans votre jambe ; un vrai couteau, pas un jouet, pour votre anniversaire, et les vagues caressant vos pieds, comme quand... La plage tremble et vous êtes de retour dans la vase, sous un ciel violet, sous cette lumière froide et palpitante. Vous entendez des canons. Pas lointains, mais étouffés. La plage se soulève et vous glissez vers l'intérieur des terres. Vous voyez une fissure s'ouvrir sur votre gauche et de l'eau noire en émerger. Une fissure dans la plage ? Où est le sable ? Pas cette vase. Est-ce le Néant ? C'est impossible. Vous débordez de vie. Vous êtes sur la stupide et lente péniche de votre père avec le vieux Rolare. Votre père a dit de l'écouter. "Il en sait plus sur la pêche que quiconque." Mais il y a tant de choses que vous préféreriez faire, même si vous avez besoin d'attraper beaucoup de poissons si vous souhaitez acheter à Oleta ce bracelet qui l'a fait sourire la semaine dernière. Le vieil homme continue juste à parler des étoiles, et non de comment attraper plus de poissons. On ne peut pas vendre les étoiles, imbécile. "Les marins", dit-il. "Même les pêcheurs. Surtout les poètes. Comment peut-on savoir où on se trouve, qui on est, quelle taille on fait ? Lève les yeux vers les étoiles, mon garçon." Mais vous connaissez déjà toutes les constellations, maintenant qu'elles se sont installées. La Tour, le Destrier, le Guerrier... Mais vous n'êtes pas un soldat. Peu importe que vous ayez pu frapper un peu plus fort que les autre enfants. Vous êtes un pêcheur, le fils d'un pêcheur. La sphère noire qui vous fait mal aux yeux est presque là. La plage se soulève en dessous de vous, et vous sentez une terrible vibration provenant de si loin en dessous. Alors, où êtes-vous ? "Lève les yeux vers les étoiles, mon garçon." Le soleil s'éteint dans l'ouest, et vous ne pouvez voir à travers les nuages violets, mais vous pouvez voir les étoiles vers le sud. Vous ne les reconnaissez pas. Vous tournez votre tête d'un côté et de l'autre pour éclaircir votre vision. Au nord, cependant, vous vous tournez et... non, elles sont à l'envers, ce doit être le sud, sauf si... La vibration devient une ondulation remuante, pire que n'importe quel cheval, pire que la péniche dans une tempête, pire que le tremblement de terre qui... Le pont glisse sous vos pieds alors que le navire va de l'avant. Oleta perd pied et vous l'attrapez, toujours excité de la tenir, toujours choqué qu'elle semble si petite. Vous êtes en chemin et vous écoutez les cloches du temple s'estomper. Vous sentez la chaleur d'Oleta et soudainement cherchez des yeux Wayn, mais vous détendez en vous rappelant que vous êtes marié à présent et que sûrement son père ne peut plus objecter à... Vous trébuchez alors que le sable s'écoule comme l'eau. Vous regardez, incapable d'agir, alors que la tombe se remplit. Tout votre travail, défait. C'était la cinquième tombe que vous aviez creusée en tout autant de jours. Vous regardez votre frère, enveloppé d'une voile, teintée en noir et rouge à la hâte. "Je suis désolé, Desek", vous sifflez. "Tu mérites mieux, mais il n'y a pas mieux à offrir." Vous avez enterré votre père, votre soeur, votre épouse. Vous entendez de la poterie tomber et se casser dans la maison, et vos pieds s'enfoncent dans le sable, et vous voulez qu'il vous engloutisse tout entier. Vous n'avez pas dormi depuis des jours. Vos mains, vos bras, vos pieds, votre coeur, tout n'est que douleur. Votre vie simplifiée des rêves d'une famille et d'un bateau rien qu'à vous, au fait de creuser une tombe de plus. Une de plus et c'est fini. Vous entendez les cloches dans le village et baissez les yeux, mais il n'y rien ni personne là. C'était juste le tremblement de terre... Mais les cloches sonnent. Est-ce qu'il reste quelqu'un ? Vous baissez les yeux vers le village et il y a un navire dans le port. Un énorme navire. Vous n'avez pas sorti la péniche depuis des semaines. Quel en serait l'intérêt ? De manger un poisson de plus ? Bien sûr que vous devriez faire face à la mort, mais si la mort refusait de vous faire face encore et encore ? Les cloches... Vous vous levez, rigide et empli de chaleur, et sortez un seau du puits. Vous buvez et vous sentez assez fort pour vous rendre en ville. Elle est vide à présent, mais d'autres survivants dépenaillés arrivent eux aussi. Le capitaine attend que le reste s'assemble. Le capitaine déroule un parchemin et commence à lire. L'amiral a un plan. Il veut des volontaires. Tout homme capable. Couronnes, Aïeux, fermiers, marchands, peu importe. Vous pensiez avoir touché à votre fin, mais ce qu'ils ont fait... Vous n'avez rien d'un soldat, mais vous frappez à nouveau le mannequin et cette fois, vous l'esquivez avant que le bras en bois ne fasse un tour. "Trop lent", dit le sergent. "Mais un bleu en moins aujourd'hui pour Némon. Suivant !" Vous remettez votre épée à la recrue suivante et vous asseyez sur le banc, frottant votre épaule et vous demandant pour la centième fois ce que vous faites ici. "Qui avez-vous perdu ?" demande la recrue à côté de vous. Vous avez répondu à cette question déjà cent fois. Les recrues ici ne disent jamais "Bonjour" ou "Belle journée pour ça". C'est toujours "Qui avez-vous perdu ?". "Tout le monde", vous dites. Vous regardez le coucher de soleil. "Sauf ma mère. Elle est morte il y a des années." "Mon père, ma petite soeur", elle dit. Elle est bien pour une femme du nord, mais son nom est quelque chose de bizarre et étranger. Peut-être Evlara. "Vous avez une idée de la façon dont l'entraînement à manier l'épée nous aidera à naviguer plus vite ?" vous demandez. Elle sourit. "Vous trouvez ça étrange, je vais seulement lancer des éclats de froid." Vous regardez brièvement ses cheveux et son sourire grandit. "Je sais", dit-elle. "Tout le monde pense que je devrais être une mage de feu." Puis son sourire s'efface. "Nous aurons ces salopards." "Oh que oui", vous dites en hochant la tête. Mais vous n'êtes pas un soldat. Aucune de ces personnes ne l'est. Pas avant... La froide lumière noire déboule par-dessus vous et la plage s'incline violemment. Vous entendez une collision, comme un coup de tonnerre, mais étouffé. Vous glissez presque dans la mer. Il n'y en aura plus pour longtemps. Vous grincez des dents dans votre joie sauvage. Mais pourquoi ? Vous levez votre bras pour regarder la perle dans votre main. Elle est encore partiellement enveloppée d'un film. Vous levez votre autre bras pour l'enlever... mais votre bras ne bouge pas. Il doit être cassé, comme ce soldat jouet dont les bras... Vous jouez aux pirates et capitaines. "C'est comme ça qu'on va faire", vous dites à personne. Les petits modèles de navire sont étalés sur toute la plage. "La plus grande marine jamais assemblée. Et pas juste des navires", vous dites. "Des sorciers, des Elfes, des Dreughs, et même des dragons !" "Ils font tous de terribles collègues, gamin." Mais l'enfant continue à parler, bougeant les petits navires et touchant le couteau tout neuf à sa ceinture. "Les grands canonniers seront à l'arrière ici, ici et ici. Ces navires elfiques et ces chaloupes lâcheront des bombes sur les Récifs rêveurs ici et ici pendant que les Elfes des mers attaquent par en dessous. Les dragons arriveront de l'est et de l'ouest pour s'occuper des aérostats tandis que les Dreughs attaqueront la Tour de Corail. Mais tous ces navires", l'enfant désigne de ses bras le vaste assortiment de bateaux jouets, "tous ce qu'ils auront à faire, ce sera de dépasser les aérostats et les monstres des mers." Les petits modèles de canons tirent et vous les entendez. Vous les entendez. Pas lointains, mais étouffés. Juste à côté de l'enfant, un dragon embrase un aérostat et il sombre rapidement, submergé par les flammes. "Pars, gamin. Oh, je t'en prie, fuis !" L'aérostat tombe dans la mer près d'un des petits navires et il y a une étincelle aveuglante et le navire se brise en deux, ses minuscules membres d'équipage volant dans les airs. L'enfant est lui aussi projeté loin dans la mer. Vous tendez de tendre la main vers lui, mais celle-ci... Attrape celle d'Oleta, qui tremblote, des perles de sueur coulant sur son visage. Elle est frêle, mais elle sert votre main si fort qu'elle vous fait mal, et vous la laissez faire. Quand les premiers villageois commencèrent à tomber malade, les prêtres disaient être perplexes, que leurs prières et sorts ne pouvaient les soigner. Bien vite, tous les prêtres sont morts. Pourtant, vous priez toute la nuit que Tu'whacca vous prenne à la place, mais quand vint le matin, il avait pris... "Oleta", vous murmurez. Vous devriez essayer de sauver... quelque chose. Vous tirez la perle de la sacoche à votre ceinture, d'une main, et tentez d'ôter le film avec votre pouce. Il ne reste plus rien à faire à présent. Vous êtes en bonne voie. Cette froide lumière noire est maintenant derrière vous et elle s'estompe. Les nuages violets disparaissent, ne laissant que les étoiles. La plage remue à nouveau en dessous de vous, désormais plus faiblement, l'acide vous piquant le dos, comme quand... Un autre monstre marin se frotte contre le Faucon libre à bâbord et une limace obèse, accrochée aux branchies du monstre, lance un projectile de poison dans le torse du capitaine. Aussi, vous prenez les commandes. L'ichor du monstre brûle le côté bâbord du navire presque jusqu'à la ligne de flottaison et il commence à tanguer fortement. Il ne reste plus personne pour opérer les pompes. Mais il bouge toujours, bouge toujours. Vous devez faire en sorte qu'il continue à bouger. Vous entendez l'équipage restant derrière vous tirer au canon, mais vous ne pouvez penser qu'à la façon de faire tourner le navire pour qu'ils puissent toucher un des gigantesques monstres marins, ou une des encore plus grandes îles vaseuses qui ne cessent de nager sur votre chemin. Vous continuez aussi longtemps que vous le pouvez sans personne pour ramer ou changer les voiles. Le navire ralentit encore et encore, mais vous êtes là. La cible. Le navire elfique et moins d'une douzaine d'escortes sont juste derrière vous. Cette femme du nord, quel était son nom ? Elle avait eu la malchance d'être brûlée par les vers, aussi, elle est coincée sur le navire elfique. Vous vous demandez si elle est encore en vie. Un aérostat descend devant vous, en feu. Vous voyez une masse de chair pâle vêtue d'une robe noire suspendue à la cambuse de celui-ci. Elle se tourne vers vous et remue ses bras visqueux, tirant un éclair au-dessus de votre tête, l'éclat plus assourdissant que n'importe quel canon, et il explose juste derrière vous. Le Faucon libre se fend en deux et vous êtes projeté, lentement et silencieusement, dans les airs. Vous atterrissez sur la cible, couverte d'une vase épaisse et brûlante, et... Et maintenant, vous savez. Vous vouliez cela. Vous vouliez... "La revanche", vous dites d'une voix rauque. Vous vous êtes porté volontaire, pauvre imbécile. Vous étiez né sous le signe du Guerrier après tout. La sphère noire a fait son travail et la plage se soulève une dernière fois alors qu'elle commence à couler, de travers, dans la mer. "Tous les navires sont importants", vous dites, jouant toujours aux pirates et capitaines. "Mais surtout celui-ci." Vous dégainez votre couteau et tapotez avec celui avec tous les sorciers et la sphère noire qui fait mal à regarder. Vous deviez faire traverser ce navire à tout prix. Vous ne pouvez lever votre bras car il n'est plus là. Le bruit des canons est étouffé parce que vous tympans ont éclaté. La perle est une pierre-mémoire que vous avez gagnée auprès de cet Elfe agité aux yeux argentés. Vous vous rappelez. Vous vous rappelez tout. Et vous ne changeriez pas une chose. "Par le souffle de Tava", vous murmurez, mourant seul sur le cadavre de Thras. "On l'a fait." "Tu peux le faire, gamin." |