Le Récit Argonien, Livre II : Différence entre versions
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Un vent nocif balayait la route commerciale, dessinant des motifs dans les étendues sans fin de roseaux. Au loin, Scotti crut voir des montagnes, mais celles-ci ne cessaient de changer d'apparence et il finit par réaliser qu'il s'agissait de nappes de brume et de brouillard. Des ombres glissaient le long du paysage. En levant les yeux, il vit qu'elles étaient projetées par des oiseaux géants dont les longs becs en forme de scie faisaient pratiquement la taille du reste de leur corps. | Un vent nocif balayait la route commerciale, dessinant des motifs dans les étendues sans fin de roseaux. Au loin, Scotti crut voir des montagnes, mais celles-ci ne cessaient de changer d'apparence et il finit par réaliser qu'il s'agissait de nappes de brume et de brouillard. Des ombres glissaient le long du paysage. En levant les yeux, il vit qu'elles étaient projetées par des oiseaux géants dont les longs becs en forme de scie faisaient pratiquement la taille du reste de leur corps. | ||
− | - Des [[ | + | - Des [[entaillaile]]s, murmura Chaero Gemullus, un Impérial assis à la gauche de Scotti. |
Il aurait pu être jeune mais il paraissait âgé et usé par la vie. | Il aurait pu être jeune mais il paraissait âgé et usé par la vie. |
Version du 30 juillet 2017 à 17:07
Le récit argonien, livre 2
Par Waughin Jarth
Decumus Scotti émergea au milieu des roseaux boueux, épuisé par sa course, le visage et les bras recouverts de mouches de chair rouges. Tournant la tête en direction de Cyrodiil, il vit le pont disparaître sous l'épaisse rivière noire et sut qu'il ne pourrait pas faire marche arrière avant plusieurs jours, lors de la décrue. La rivière emportait également dans son ventre visqueux tous ses documents concernant le Marais noir. Il allait devoir compter sur sa mémoire pour trouver ses contacts à Gideon.
Mailic avançait à grandes enjambées parmi les roseaux devant lui. Agitant en vain les bras pour se débarrasser des mouches, Scotti se hâta de le suivre.
- Nous avons de la chance, messire, dit le Rougegarde.
Scotti songea que c'était la dernière chose qu'il aurait eu envie de dire, jusqu'à ce qu'il suive des yeux la direction vers laquelle l'homme pointait le doigt.
- La caravane est là, annonça le guide.
Vingt et un chariots rouillés, éclaboussés de boue et dotés de roues instables de bois pourrissant s'alignaient non loin devant eux, à moitié enfoncés dans la terre meuble. Un groupe d'Argoniens aux écailles et aux yeux gris, le type de travailleurs manuels peu bavards qu'on croisait souvent en Cyrodiil, tirait sur l'un des chariots qui s'était détaché des autres. Tandis que Scotti et Mailic approchaient, ils constatèrent qu'il était rempli d'une cargaison de baies noires tellement pourries qu'elles étaient à peine identifiables. Cela évoquait plus une gelée suppurante qu'une cargaison de fruits.
Oui, ils allaient bien jusqu'à la cité de Gideon, et oui, dirent-ils, Scotti pourrait se joindre à eux lorsqu'ils auraient fini de décharger cette cargaison de baies.
- Elles ont été récoltées il y a combien de temps ? demanda Scotti en examinant le contenu pourri du chariot.
- La récolte a eu lieu en vifazur, évidemment, répondit l'Argonien qui paraissait responsable du chariot.
On était en sombreciel, donc ces baies étaient sur les routes depuis un peu plus de deux mois.
Il y a clairement, songea Scotti, des problèmes de transport. Mais c'était après tout son rôle que de régler de tels soucis, en tant que représentant de la commission à la construction du seigneur Vanech.
Cela prit près d'une heure, durant laquelle les baies pourrirent encore un peu plus au soleil, pour que le chariot soit poussé sur le côté puis pour que les chariots situés devant et derrière soient reliés l'un à l'autre et enfin pour que l'un des huit chevaux situés à l'avant de la caravane soit rattaché au chariot désormais indépendant. Les paysans se déplaçaient d'une manière découragée et léthargique et Scotti saisit l'opportunité d'inspecter le reste de la caravane et de discuter avec les autres voyageurs.
Quatre des chariots étaient équipés de bancs, prévus pour ceux qui ne savaient pas monter. Tous les autres étaient remplis de céréales, de viandes et de légumes plus ou moins pourrissants.
Parmi les voyageurs, on dénombrait six paysans argoniens, trois marchands impériaux ayant subi tellement de morsures d'insectes que leur peau paraissait aussi écailleuse que celle des Argoniens, et trois individus encapuchonnés qui étaient probablement des Dunmers, à en croire les yeux rouges qui brillaient dans l'ombre de leurs capuchons. Tous transportaient leurs biens le long de cette voie, la route commerciale impériale.
- C'est une route ? s'exclama Scotti en examinant le champ sans fin de roseaux dont certains dépassaient la hauteur de son menton.
- Le sol est solide, plus ou moins, lâcha l'un des Dunmers encapuchonnés en haussant les épaules. Les chevaux mangent une partie des roseaux et parfois nous y mettons le feu, mais ça repousse très vite.
Le responsable des chariots finit par signaler que la caravane était prête à repartir et Scotti alla s'asseoir dans le troisième chariot en compagnie des autres Impériaux. Il regarda autour de lui, mais Mailic n'était pas à bord.
- J'ai donné mon accord pour vous emmener jusqu'au Marais noir et vous en faire ressortir, annonça le Rougegarde.
Il s'était assis sur un rocher au milieu de la mer de roseaux et grignotait une carotte légèrement moisie.
- Je serai là à votre retour.
Scotti fronça les sourcils, et pas seulement parce que Mailic avait cessé de l'appeler "messire". A présent, il ne connaissait vraiment plus personne dans le Marais noir. Mais la caravane se mit lentement en route, avec force cahots, et il n'eut pas le temps de discuter plus avant.
Un vent nocif balayait la route commerciale, dessinant des motifs dans les étendues sans fin de roseaux. Au loin, Scotti crut voir des montagnes, mais celles-ci ne cessaient de changer d'apparence et il finit par réaliser qu'il s'agissait de nappes de brume et de brouillard. Des ombres glissaient le long du paysage. En levant les yeux, il vit qu'elles étaient projetées par des oiseaux géants dont les longs becs en forme de scie faisaient pratiquement la taille du reste de leur corps.
- Des entaillailes, murmura Chaero Gemullus, un Impérial assis à la gauche de Scotti.
Il aurait pu être jeune mais il paraissait âgé et usé par la vie.
- Comme tout le reste dans cet endroit maudit, ils vous dévoreront si vous cessez de bouger. Ces saletés vous tombent dessus et vous entaillent méchamment, après quoi ils s'envolent et ne reviennent que lorsque vous êtes presque mort, à force de sang perdu.
Scotti frissonna. Il espérait qu'ils auraient atteint Gideon avant la tombée de la nuit. C'est alors seulement qu'il réalisa que le soleil était du mauvais côté de la caravane.
- Excusez-moi messire, lança Scotti à l'intention du maître de la caravane. J'avais cru comprendre que vous alliez vers Gideon ?
Le maître de la caravane hocha la tête.
- Alors pourquoi nous dirigeons-nous vers le nord, alors que nous devrions aller au sud ?
Il ne reçut qu'un soupir pour toute réponse.
Scotti obtint confirmation de la part des autres voyageurs qu'eux aussi se rendaient à Gideon. Aucun d'entre eux n'avait l'air particulièrement inquiet de constater que la route qu'ils empruntaient semblait faire un immense détour. Le banc était rude et inconfortable pour son dos et ses fesses d'homme d'âge mûr, mais les cahots réguliers de la caravane et l'ondulation hypnotique des roseaux finirent par avoir de l'effet sur lui. L'esprit de Scotti dériva progressivement vers le sommeil.
Il s'éveilla dans le noir, quelques heures plus tard, sans savoir où il se trouvait. La caravane ne bougeait plus et il était étendu au sol, sous l'un des bancs, près de petits colis. Il entendit des voix qui parlaient une langue sifflante et claquante qu'il ne comprenait pas et il jeta un oeil entre les jambes de quelqu'un pour voir ce qui se passait.
Les rayons de lune perçaient à peine l'épaisse brume qui entourait la caravane et Scotti ne disposait pas d'un angle qui lui aurait permis de voir qui parlait. Pendant un moment, il eut l'impression que le maître de caravane gris se parlait à lui-même. Mais les ombres bougeaient, elles semblaient humides. De fait, il distingua le reflet d'écailles luisantes. Il était difficile de dire combien il y avait de ces choses, mais elles étaient massives, noires. Et plus Scotti les regardait, plus il percevait de détails. Quand émergea un détail particulier, celui de bouches énormes emplies de crocs aussi acérés que des aiguilles, Scotti se glissa de nouveau sous le banc. Leurs petits yeux noirs ne l'avaient pas encore repéré.
Les jambes situées devant Scotti eurent un sursaut et se mirent à s'agiter furieusement tandis que l'on se saisissait de leur propriétaire et qu'on le tirait hors du chariot. Scotti se recroquevilla plus encore et se glissa derrière les petits colis. Il n'avait pas beaucoup d'expérience en matière de dissimulation, mais il avait une certaine expérience des boucliers. Il savait qu'avoir un objet, n'importe quoi, entre soi et des créatures malfaisantes était toujours une bonne chose.
Quelques secondes après que les jambes eurent disparu hors de vue, un horrible cri retentit. Puis un second, et un troisième. Des timbres différents, des accents différents, mais un unique message inarticulé... de la terreur et de la douleur, une horrible douleur. Scotti se souvint d'une prière depuis longtemps oubliée au dieu Stendarr et se mit à la chuchoter pour lui-même.
Le silence retomba... un silence de mort qui ne dura que quelques minutes mais parut durer des heures... des années...
Et puis la caravane se remit en route.
Scotti rampa prudemment de sous le banc. Chaero Gemullus lui décocha un sourire surpris.
- Vous êtes là, dit-il. J'ai cru que les Nagas s'étaient emparés de vous.
- Les Nagas ?
- Des personnages peu recommandables, déclara Gemullus en fronçant les sourcils. Des vipères dotées de jambes et de bras, hautes de sept pieds, voire huit quand elles sont en colère. Ils viennent de l'intérieur du marais et ils n'aiment pas trop le coin, ce qui les rend particulièrement irritables. Vous êtes le genre d'Impérial chic qu'ils affectionnent.
De toute sa vie, Scotti n'avait jamais été perçu comme "chic". A ses yeux, ses vêtements couverts de boue et de mouches paraissaient appartenir à un individu de la classe moyenne, au mieux.
- Pourquoi s'intéresseraient-ils à moi ?
- Pour vous dévaliser, évidemment, sourit l'Impérial. Et pour vous tuer. Vous n'avez pas remarqué ce qui était arrivé aux autres ? (L'Impérial fronça de nouveau les sourcils, comme s'il venait de se rappeler quelque chose). Vous n'auriez pas goûté au contenu des colis sous le banc, des fois ? Vous aimez le sucre, c'est ça ?
- Par les dieux, non ! grimaça Scotti.
L'Impérial opina du chef, visiblement soulagé.
- Vous me semblez juste un peu lent. C'est votre première visite dans le Marais noir, j'imagine ? Oh ! V'là la pisse d'Hist !
Scotti était sur le point de demander à Gemullus ce que signifiait cette expression vulgaire lorsque la pluie se mit à tomber. C'était un enfer de trombes d'eau puante d'un jaune brunâtre qui s'abattit sur la caravane, accompagné par un grondement de tonnerre au loin. Gemullus s'agita pour tenter de tirer la bâche qui servait de toit au chariot, jetant des regards appuyés à Scotti jusqu'à ce que celui-ci vienne l'aider dans sa laborieuse manoeuvre.
Après quoi Scotti se surprit à frissonner, pas seulement à cause du froid et de l'humidité, mais également à la vue de ces précipitations dégoûtantes qui s'abattaient sur les produits déjà répugnants stockés à l'air libre sur les autres chariots.
- Nous serons rapidement secs, sourit Gemullus en désignant la brume du doigt.
Scotti n'avait jamais vu Gideon, mais il savait à quoi s'attendre. Un vaste campement plus ou moins organisé de la même manière que la Cité impériale, dans un style plus ou moins impérial, avec tout le confort et les traditions propres à l'Empire, plus ou moins.
Ce fatras de huttes à moitié immergées dans la boue était indéniablement "moins".
- Où sommes-nous ? demanda Scotti, dérouté.
- Hixinoag, répondit Gemullus en prononçant l'étrange nom avec aisance. Vous aviez raison. Nous allions au nord au lieu d'aller au sud.
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