La Danse du Feu, chapitre 2 : Différence entre versions
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Version du 14 décembre 2013 à 10:46
Chapitre II
C'était une catastrophe. En quelques minutes, les Cathay-rahts avaient volé ou détruit presque tout ce qui avait de la valeur dans la caravane. Le chargement de bois que Décumus Scotti espérait vendre aux Bosmers avait pris feu avant de tomber de la falaise. Ses vêtements et contrats étaient souillés de boue mêlée au vin qui s'était déversé par terre. A l'aube, tous les pèlerins, marchands et aventuriers du groupe se lamentaient en ramassant ce qui restait de leurs affaires.
"Je crois que je ferais mieux de ne dire que j'ai réussi à conserver mes notes de traduction de la Mnoriade Pley Bar, murmura le poète Gryf Mallon. Ils s'en prendraient certainement à moi."
Poliment, Scotti repoussa l'occasion qui lui était donnée de dire à Mallon le peu de valeur que représentaient ses affaires à ses yeux. Il se contenta de compter les pièces dans sa bourse. Trente-quatre pièces d'or. Vraiment très peu pour un entrepreneur se lançant dans une nouvelle affaire.
"Hoy ! fit une voix provenant des bois, aussitôt suivie d'un petit groupe de Bosmers armés et revêtus d'armures de cuir. Amis ou ennemis ?
- Ni l'un ni l'autre, grommela le chef du convoi.
- Vous devez être ceux qui viennent de Cyrodiil, ironisa le chef du groupe, un grand jeune homme maigrelet au visage taillé à coups de serpe. Nous avons entendu dire que vous étiez en route. Et, à l'évidence, nos ennemis l'ont appris, eux aussi…
- Je croyais que la guerre était finie", grommela un des marchands, désormais ruiné, de la caravane.
Le Bosmer rit une nouvelle fois : "Ce n'est pas un acte de guerre. Juste une petite escarmouche de frontière. Vous vous rendez à Falinesti ?
- Moi, non, répondit le chef du convoi en secouant la tête. En ce qui me concerne, j'ai fait mon boulot. Je n'ai plus de chevaux ni de caravane et, ce que j'avais gagné, on me l'a volé."
Tout le monde se rassembla autour de lui en protestant, en le menaçant et en le suppliant mais il refusa de mettre le pied au Val-Boisé, expliquant que, si la région connaissait actuellement la paix, il préférait ne pas revenir avant la prochaine guerre.
Scotti essaya une autre méthode et s'approcha du Bosmer. Il parla d'une voix autoritaire mais amicale, le genre de ton qu'il utilisait pour négocier avec les charpentiers les plus grincheux : "Je ne pense pas que vous accepteriez de m'escorter jusqu'à Falinesti. Je représente une importante agence impériale, la Commission d'aménagement Atrius. Je suis ici pour vous aider à reconstruire et à résoudre certains problèmes que doit surmonter votre province à cause de la guerre contre les Khajiits. Le patriotisme...
- Vingt pièces d'or et vous portez vos affaires, s'il vous en reste encore", répondit le Bosmer.
Scotti songea que ses négociations avec les charpentiers ne tournaient pas non plus toujours en sa faveur.
Six personnes avaient assez d'argent sur elles pour payer. Parmi ceux qui n'en avaient pas assez, il y avait le poète, qui vint demander l'aide de Scotti.
"Je suis navré, Gryf, il ne me reste que quatorze pièces d'or. Même pas assez pour une chambre décente quand j'arriverai à Falinesti. J'aurais vraiment aimé pouvoir vous aider", répondit Scotti en essayant de se persuader que c'était vrai.
Les six personnes et leur escorte bosmer se mirent à descendre la piste rocailleuse le long de la falaise. En moins d'une heure, ils étaient déjà au coeur des jungles du Val-Boisé. Au-dessus de leurs têtes, une voûte aux teintes brunes leur dissimulait le ciel et le soleil. Des feuilles tombées à terre depuis mille ans formaient un véritable tapis putride sous leurs pieds. Ils parcoururent plusieurs kilomètres sur cette surface spongieuse, et autant au coeur d'un véritable labyrinthe de branches mortes et de rameaux d'arbres gigantesques.
Infatigables, les Bosmers marchaient si rapidement que les Cyrodiléens durent se démener pour ne pas être abandonnés derrière. Un petit marchand au visage rougeaud trébucha sur une branche pourrie et faillit tomber. Ses compagnons furent obligés de l'aider. Les Bosmers ne firent qu'une courte pause, leurs yeux scrutant sans cesse l'ombre des arbres. Aussitôt après, ils se remirent en marche avec la même hâte.
"Mais pourquoi sont-ils aussi nerveux ? se demanda avec irritation un marchand. Il y a encore des Cathay-rahts ?
- Ne soyez pas ridicule, se moqua un Bosmer. Des Khajiits, aussi loin dans la forêt ? En temps de paix, ils n'oseraient jamais."
Lorsque le groupe se retrouva assez haut au-dessus du marécage pour ne presque plus en sentir l'odeur, Scotti se mit à avoir faim. Il était habitué à prendre quatre repas par jour, à la mode cyrodiléenne. Plusieurs heures d'exercice sans nourriture ne faisaient pas partie de son régime de clerc confortablement rémunéré. Délirant à moitié, il se demanda depuis combien de temps ils marchaient dans la forêt. Douze heures ? Vingt ? Une semaine ? Le temps n'avait plus d'importance. La lumière du soleil était intermittente en raison de la voûte végétale. Les moisissures phosphorescentes du marais et du tronc des arbres constituaient les seules sources de lumière constante.
"Puis-je m'arrêter et manger un morceau ? demanda-t-il à ses hôtes.
- Nous sommes proches de Falinesti, s'entendit-il répondre. Il y a beaucoup de nourriture, là-bas."
La piste continua à grimper pendant des heures. Ils franchirent des amas de troncs tombés, avant de s'élever jusqu'au niveau des premiers puis des seconds rameaux des arbres. Au détour d'une longue courbe, les voyageurs se retrouvèrent à mi-hauteur d'une cascade qui se déversait plusieurs dizaines de mètres plus bas. Personne n'eut la force de se plaindre en escaladant les tas de rochers, même si chaque enjambée était un supplice. L'escorte bosmer disparut dans la brume mais Scotti continua à escalader. Arrivé au sommet, il dut essuyer la sueur et l'eau qui coulaient de son front.
Devant lui, Falinesti s'étendait à l'horizon. Le long des deux bords de la rivière se dressait la grande cité de chênes-graht, dont les bosquets et vergers s'étendaient à perte de vue. Les arbres qui formaient la cité mouvante étaient réellement extraordinaires : noueux et parés d'une magnifique couronne dorée et verte, pourvus de lianes et de vignes et couverts d'une sève brillante. Jamais Scotti n'avait contemplé spectacle aussi majestueux. S'il n'était pas à demi mort de faim, il en aurait presque chanté.
"Vous y êtes, annonça le chef de l'escorte. Ce n'est pas très loin à pied. Vous avez de la chance que nous soyons en hiver. En été, la cité se trouve au Sud de la province."
Scotti ne savait pas par où commencer. La vue de cette ville verticale, où les gens se déplaçaient comme des fourmis, le désorientait.
"Vous ne connaîtriez pas une auberge appelée... Il fit une courte pause puis tira de sa poche la lettre de Jurus. Quelque chose comme la taverne de Mère Paskos ?
- La Mère Pascost, se mit à rire le chef des Bosmers. Vous ne voulez tout de même pas aller vous reposer là-bas ? Les visiteurs préfèrent nettement le Palais d'Aysia, dans les branchages supérieurs. C'est cher, mais somptueux.
- Je dois rencontrer quelqu'un à la taverne de la Mère Pascost.
- Si voulez vraiment y aller, prenez un élévateur jusqu'à la chute d'Havel et demandez votre chemin. Un conseil... ne vous perdez pas et ne dormez pas dans le secteur Ouest."
Les amis du jeune Bosmer eurent l'air de trouver ça drôle et c'est suivi de leurs rires que Scotti traversa le réseau de racines entrelacées qui conduisait au pied de Falinesti. Le sol était couvert de feuilles et de détritus et, de temps en temps, on voyait un verre ou un os tomber de très haut. Il avança donc en regardant en l'air afin d'éviter les mauvaises surprises. Un réseau complexe de plates-formes fixées à d'épaisses lianes permettait de monter ou de descendre le long des larges troncs d'arbres de la ville. Elles étaient manoeuvrées par des hommes ayant des bras incroyablement musclés. Scotti s'approcha d'un individu fumant une pipe en verre près d'une des plates-formes.
"Je me demandais si vous pouviez me conduire à la chute d'Havel."
L'inconnu opina du chef et, quelques minutes plus tard, Scotti se retrouva à soixante-dix mètres dans les airs, à un embranchement entre deux énormes branches. Des tapis de mousse tissée s'étiraient entre les ramures, formant un toit pour plusieurs dizaines de petits bâtiments. Il n'y avait que peu d'individus dans l'allée mais, un peu plus loin, Scotti entendit de la musique et des conversations. Il donna une pièce d'or à l'opérateur de la plate-forme et lui demanda où se trouvait la taverne de la Mère Pascost.
"Droit devant vous, monsieur, mais vous n'y trouverez personne, expliqua l'opérateur en pointant du doigt dans la direction d'où provenaient les bruits. Le mardi, tous ceux de la chute d'Havel font la fête."
Scotti marcha avec précaution sur l'étroite "rue". Bien que le sol ait l'air aussi solide que les avenues de marbre de la cité impériale, il y avait des fissures dans l'écorce, qui faisaient courir le risque d'une chute fatale dans la rivière. Il prit quelques instants pour s'asseoir, se reposer et s'habituer à l'altitude. C'était une journée magnifique mais il ne fallut que quelques minutes d'observation à Scotti avant qu'il ne sente la panique l'envahir. Une petite embarcation amarrée en dessous de lui, sur la rivière, s'était nettement déplacée de quelques centimètres tandis qu'il l'observait. Sauf qu'elle n'avait pas bougé. C'était Scotti qui venait de le faire, lui et tout ce qui l'entourait. Ce n'était pas une métaphore : la cité de Falinesti se déplaçait. Et, étant donné sa taille, elle le faisait fort vite.
Scotti se releva et fut enveloppé d'une odeur provenant d'un peu plus loin, derrière un coude. C'était l'odeur de cuisson la plus délicieuse qu'il eut jamais sentie. Oubliant sa peur, il se mit à courir.
La fête dont l'homme lui avait parlé avait lieu sur une énorme plate-forme fixée à l'arbre. Elle était aussi large que la place d'une cité. Il y avait là un rassemblement des personnes les plus fantastiques que Scotti eut jamais vues. Elles se tenaient épaule conte épaule, la plupart mangeaient, beaucoup buvaient et certaines dansaient sur la musique d'un joueur de luth et d'un chanteur perchés sur une estrade dressée au-dessus de la foule. La plupart étaient des Bosmers, des natifs parés de vêtements de cuir et d'ivoire, et il y avait aussi une minorité d'Orques. Tourbillonnant à travers la cohue, en dansant et en criant, il y avait d'hideuses créatures simiesques. Quelques têtes dépassant de la foule n'appartenaient pas, comme Scotti l'avait d'abord cru, à des gens très grands, mais à une famille de centaures.
"Voulez-vous un peu de mouton ?" demanda un vieil individu qui faisait rôtir une énorme bête sur des rochers chauffés à blanc.
Scotti paya une pièce d'or et dévora le morceau qu'on lui tendait. Il donna une autre pièce et reçut un autre morceau en échange. L'homme gloussa quand Scotti faillit s'étouffer en mordant dans un paquet de nerfs. Il lui donna une coupe contenant un liquide blanc. Scotti le but et sentit son corps frémir de plaisir.
"Qu'est-ce que c'est ? demanda Scotti.
- Du jagga. Du lait fermenté de cochon. Je peux vous en donner une bouteille et encore un peu de mouton pour une autre pièce d'or."
Scotti accepta, paya, avala la viande et emporta la bouteille avant de se mêler à la foule. Son confrère, Liodès Jurus, l'homme qui lui avait dit de venir à Val-Boisé, ne se trouvait nulle part. Quand il eut vidé un quart de sa bouteille, Scotti cessa ses recherches. Lorsque la bouteille fut à moitié vide, il dansait avec la foule sans se soucier des planches cassées et des trous de la plate-forme. Quand il en eut bu les trois quarts, il échangeait des plaisanteries avec des créatures dont il ignorait tout du langage. Une fois qu'il eut vidé la bouteille, il s'endormit tandis que la fête continuait tout autour de lui.
Le matin suivant, encore endormi, Scotti eut la sensation que quelqu'un l'embrassait. Il rendit la pareille mais une douleur atroce lui traversa la poitrine, comme si du feu se déversait en lui. Il ouvrit les yeux. Un insecte de la taille d'un veau assis sur lui était en train de l'écraser. Ses pattes garnies de pointes le tenaient fermement au sol tandis qu'une bouche en forme de lame en vrille lui déchirait les vêtements. Il hurla, mais la créature était trop forte. Elle avait commencé son repas et entendait bien le finir.
"C'est fini, songea Scotti. Je n'aurais jamais dû quitter ma demeure. J'aurais pu rester dans la cité et j'aurais peut-être trouvé du travail chez le seigneur Vanech. J'aurais pu tout recommencer en tant que jeune clerc et grimper de nouveau les échelons."
Soudain, la bouche de la créature se détacha. La bête trembla, vomit une sorte de liquide jaunâtre et mourut.
"J'en ai eu une !" cria une voix proche.
Scotti resta immobile un instant. Il avait mal à la tête et son torse le brûlait. Du coin de l'oeil, il perçut un déplacement. Une autre créature se dirigeait vers lui. Il se débattit pour tenter de se libérer mais, avant qu'il n'y parvienne, il entendit le bruit d'une flèche qu'on décoche et le second insecte s'effondra, mort.
"Joli coup ! cria une autre voix. Achève le premier ! Je crois qu'il bouge encore !"
Cette fois-ci, Scotti sentit l'impact du projectile sur la carcasse. Il cria mais il se rendait compte que sa voix était étouffée par le corps de l'insecte. Avec précaution, il essaya de dégager un pied pour faire basculer la chose mais cela sembla convaincre les archers que la créature vivait encore. Une volée de flèches fut décochée. La bête était maintenant suffisamment criblée de traits pour que son sang se déverse sur Scotti.
Quand ce dernier était gamin, avant qu'il ne devienne trop délicat pour ce genre de sport, il se rendait souvent à l'arène impériale pour assister aux joutes martiales. Il se souvint d'un grand vétéran des combats et du secret qu'il lui avait confié. "Quand j'ai un doute sur ce qu'il faut que je fasse et que j'ai un bouclier, je reste caché derrière."
Scotti suivit ce conseil. Une heure plus tard, quand il n'entendit plus les flèches voler, il fit basculer les restes de l'insecte et se redressa le plus vite possible. Ce ne fut pas trop tôt. Huit archers avaient pointé leurs armes dans sa direction et s'apprêtaient à tirer. Quand ils le virent, ils se mirent à rire.
"On ne vous a jamais dit qu'il ne fallait pas s'endormir dans le secteur Ouest ? Comment voulez-vous donc que l'on extermine les hoarvors et les autres vermines de Falinesti si vous autres ivrognes continuez à les nourrir ?"
Scotti secoua la tête, traversa la plate-forme et tourna au coin de la chute d'Havel. Il était couvert de sang, meurtri, fatigué, et avait trop bu de lait fermenté. Tout ce qu'il voulait, c'était un endroit où s'allonger. Il entra dans la taverne de la Mère Pascost, un endroit humide de sève et sentant la moisissure.
"Je m'appelle Décumus Scotti, dit-il. J'espérais trouver chez vous un certain Jurus.
- Décumus Scotti ? s'étonna la propriétaire bien en chair, la Mère Pascost en personne. J'ai déjà entendu ce nom. Oh ! Vous devez être l'individu pour qui on a laissé un mot. Voyons si je peux mettre la main dessus…"