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Version du 15 septembre 2011 à 14:01
La Chambre Close
Par Porbert Lyttumly
Yana incarnait le genre d'élève que son maître Arthcamu haïssait : l'amateur professionnel. Il appréciait tous les criminels qui étaient ses étudiants habituels à la forteresse, depuis les cambrioleurs de bas étage jusqu'aux maîtres chanteurs de haut vol. Tous étaient jeunes, ambitieux et conscients qu'une bonne maîtrise de l'ouverture des serrures ne pouvait que les aider dans l'orientation professionnelle qu'ils avaient choisie. Ils ne s'intéressaient qu'aux solutions les plus simples et les plus faciles, mais les gens comme Yana se passionnaient pour les exceptions et les possibilités les plus invraisemblables qui soient. Pragmatique à l'extrême, Arthcamu avait du mal à le supporter.
La jeune Rougegarde pouvait passer de longues heures devant une serrure, à tâtonner délicatement à l'aide de ses crochets. Elle caressait les gorges et les rainures, flirtait avec le mécanisme, bref, explorait l'ensemble avec une fascination qui en devenait presque inquiétante. Bien après que les autres élèves eussent ouvert leur serrure pour passer à l'exercice suivant, Yana continuait de s'amuser avec la sienne. Et Arthcamu admettait encore moins qu'elle finisse toujours par ouvrir le verrou qui lui était proposé, quelle que soit sa complexité.
" Tu compliques trop les choses, s'emportait-il fréquemment en la frappant. Il est essentiel d'aller vite, pas de comprendre comment fonctionne le mécanisme. Même si j'introduisais la clé dans la serrure devant tes yeux, tu n'arriverais pas à l'ouvrir rapidement. "
Yana supportait les récriminations d'Arthcamu avec philosophie ; n'avait-elle pas payé son enseignement par avance, après tout ? Certes, le voleur cherchant à s'introduire dans un lieu interdit alors que la garde le pourchassait avait besoin de se montrer rapide, mais Yana savait fort bien que jamais une telle situation ne s'appliquerait à elle. Une seule chose l'intéressait vraiment : la connaissance.
Arthcamu fit tout son possible pour encourager la jeune femme à aller plus rapidement, mais elle semblait presque apprécier ses injures et ses coups, prenant toujours plus de temps à décortiquer le fonctionnement de chaque nouvelle serrure. Vint enfin le jour où il ne put en supporter davantage. Tard dans l'après-midi, après que Yana eût passé de longues heures devant une serrure ne présentant pas la moindre difficulté, il la tira par l'oreille jusqu'à une pièce située dans une partie de la forteresse où les élèves n'avaient pas le droit de se rendre.
La salle ne contenait qu'une grosse caisse disposée en son centre. Elle ne possédait pas de fenêtre et aucune autre porte que celle par laquelle ils venaient d'entrer. Projetant Yana contre la caisse, Arthcamu referma derrière elle. Elle entendit la clé tourner dans la serrure.
" Voici le test que je réserve à mes meilleurs élèves, fit le professeur en riant. Voyons si tu es capable de t'échapper. "
Yana sourit et commença, comme à son habitude, à frôler la serrure afin d'en tirer tout ce qu'il était possible d'en apprendre. Quelques minutes s'écoulèrent, puis Arthcamu reprit la parole.
" Au fait, je devrais peut-être mentionner qu'il s'agit là d'un test de rapidité. Tu vois cette caisse, derrière toi ? Elle contient un vampire qui y est enfermé depuis de longs mois, à tel point qu'il est pour ainsi dire mort de faim. Dans quelques minutes, le soleil sera couché et il se réveillera. Si tu n'as pas ouvert la porte d'ici là, il te videra de ton sang. "
Yana ne perdit pas de temps à se demander si Arthcamu se moquait d'elle ou non. Elle le savait malfaisant, mais irait-il jusqu'à tuer l'un de ses élèves pour lui donner une bonne leçon ? Tous les doutes de la jeune femme s'envolèrent lorsqu'elle entendit un raclement dans la caisse. Ignorant sa longue phase d'exploration habituelle, elle plaça son crochet dans la bonne gorge, appuya sur la clenche et ouvrit la porte…
Arthcamu l'attendait dans le couloir, éminemment satisfait.
" Alors, je vois que tu as appris les vertus de la rapidité ", la nargua-t-il avant de partir d'un rire empli de cruauté.
Au bord des larmes, Yana quitta la forteresse en courant presque. Persuadé qu'il ne la reverrait jamais, Arthcamu se félicita de lui avoir donné une bonne leçon. Quand elle revint le lendemain matin, il ne montra pas la moindre surprise, bien qu'il bouillonnât intérieurement.
" Je vais bientôt m'en aller, lui dit-elle. Mais avant, je pense avoir mis au point un nouveau type de serrure et j'aimerais que vous me donniez votre avis à son sujet. "
Arthcamu haussa les épaules et lui demanda de lui montrer son mécanisme.
" Est-ce qu'il ne serait pas possible d'installer ma serrure sur la porte de la salle du vampire ? Il me semble qu'une démonstration sera plus claire que mille explications. "
Arthcamu ne savait trop que penser, mais la perspective du départ prochain de son insupportable élève l'avait mis d'excellente humeur et il l'autorisa à se rendre à la salle. Pendant toute la matinée et la majorité de l'après-midi, Yana oeuvra à quelques mètres du vampire endormi, ôtant l'ancienne serrure pour la remplacer par la sienne. Enfin, elle demanda à son professeur s'il pouvait venir voir.
Etudiant le mécanisme de son oeil d'expert, Arthcamu n'y vit rien d'impressionnant.
" Vous avez devant vous la seule et unique serrure impossible à crocheter, lui expliqua Yana. Il n'existe qu'un moyen de l'ouvrir : posséder la clé adéquate. "
Eclatant de rire, Arthcamu se laissa enfermer à l'intérieur. Dès qu'il entendit le cliquetis annonçant la fermeture de la serrure, il se mit au travail. A sa grande surprise, il se rendit compte que le mécanisme lui résistait. Il essaya toutes les astuces qu'il connaissait, en vain, et n'eut d'autre choix que de recourir à la méthode de son élève, inspectant lentement la serrure afin de découvrir ses secrets.
" Il faut que je m'en aille, lui dit soudain Yana de l'autre côté de la porte. Je vais chercher la garde. Je sais que c'est contre les règles, mais je pense qu'il vaut mieux, pour tous les villageois, que nous n'ayons pas un vampire affamé en liberté. La nuit tombe et, même si vous êtes manifestement incapable d'ouvrir cette porte, lui n'a pas votre orgueil et il n'hésitera sans doute pas à se servir de la clé pour s'échapper. Vous vous souvenez de ce que vous m'avez dit, que je n'arriverais pas à ouvrir la porte rapidement même si vous introduisiez la clé dans la serrure devant mes yeux ?
- Attends ! s'affola Arthcamu. D'accord, je vais me servir de la clé ! Mais où est-elle ? Tu as oublié de me la donner ! "
Il ne reçut d'autre réponse qu'un bruit de pas allant s'amenuisant. Il se pencha de nouveau sur la serrure, mais sa terreur était telle que ses mains tremblaient follement. L'absence de fenêtre l'empêchait de déterminer l'heure qu'il était. Lui restait-il encore plusieurs heures, ou seulement quelques minutes ? Une chose était sûre : le vampire saurait, lui.
Dans son affolement, il malmena ses outils et son crochet se cassa dans la serrure, empêchant toute nouvelle tentative. Une erreur de débutant. Arthcamu tambourina contre la porte, tout en sachant que personne ne pouvait l'entendre. Alors qu'il prenait son souffle pour crier de toutes ses forces, il perçut un craquement derrière lui ; la caisse s'ouvrait lentement.
Affamé, le vampire posa des yeux fous sur sa proie et se jeta sur elle avec frénésie. Avant de périr sous les crocs, Arthcamu eut une ultime vision d'horreur pendant autour du cou du vampire et posée là pendant qu'il dormait : la clé de la serrure.