Les Seize accords de la folie, volume IX : L'histoire de Vaermina

De La Grande Bibliotheque de Tamriel
Aller à : navigation, rechercher
Média d'origine : TES 4 : Oblivion

Par Anonyme


L'histoire de Vaermina

Darius Shano se retrouvait en train de courir aussi vite que possible.

Il n'avait aucune idée de ce vers quoi il courait ou de ce qu'il fuyait, mais il s'en moquait. Le désir saturait son esprit : rien d'autre n'existait dans le monde que cette course effrénée. Il fouillait les alentours du regard à la recherche d'un point de référence, de quoi que ce soit qui lui permettrait de se repérer ou pourrait constituer une cible à atteindre, mais en vain. Les étendues herbeuses monotones au sein desquelles il sprintait s'étalaient à perte de vue.
"Je dois juste continuer à courir", songeait-il pour lui-même. "Je dois courir aussi vite que possible."
Il continua donc, encore et encore, sans en entrevoir la fin...

Debout au-dessus de Darius Shano silencieusement allongé dans son lit se dressaient sa maitresse, Vaermina la Tisseuse de Rêves, et Shéogorath le Dieu fou. Vaermina posait sur son disciple un regard empreint de fierté et vantait les mérites de son petit bijou.
- Quel potentiel dans celui-ci ! Au travers de rêves inspirateurs, j'ai fait murir son talent littéraire et il est désormais acclamé comme une nouvelle révélation parmi les poètes et les bardes ! Il gagnera bien des faveurs avant que je ne me lasse de lui.
Shéogorath aussi fixa son regard sur le jeune artiste bréton et vit qu'il était effectivement célèbre parmi les autres mortels.
- Hum, lança Shéogorath, mais combien y en a-t-il qui haïssent ce mortel que tu as conçu ? C'est la haine des mortels qui confirme la grandeur, et non leur adoration. Nul doute que tu peux obtenir cela également ?
Les yeux de Vaermina se plissèrent.
- Oui, les mortels sont en effet souvent stupides et mesquins, et il est vrai que nombre des plus audacieux d'entre eux ont été détestés. Ne t'inquiète pas, fol, car j'ai le pouvoir d'atteindre de nombreuses formes de grandeur avec celui-ci, y compris la haine.
- Peut-être serait-il amusant de montrer qui détient ce pouvoir, Tisseuse de Rêves... Inspire une haine stupide et arrogante envers ce mortel pendant dix ans, puis je ferai de même. Nous verrons qui possède les talents les plus efficaces, sans aide ni interférence de la part des autres Daedra.
Entendant ces mots, elle se laissa aller à un plaisir plein d'assurance.
- Le Dieu fou est indéniablement puissant, mais cette tâche correspond à mes talents. La folie répugne aux mortels, mais ils la jugent rarement digne d'être haïe. Je vais prendre plaisir à te révéler cela tandis que je tirerai les horreurs les plus subtiles du subconscient de ce mortel.
C'est ainsi que durant la dix-neuvième année de son existence, les rêves que Darius Shano avait connus se mirent à changer. La peur avait toujours fait partie intégrante de la nuit pour lui, mais il y avait désormais autre chose. Les ténèbres commencèrent à envahir ses songes, des ténèbres qui aspiraient les couleurs et les sensations, ne laissant que le néant derrière elles. Lorsque cela arriva, il ouvrit la bouche pour hurler mais s'aperçut qu’elles s'étaient également emparées de sa voix. Il n'avait plus que la terreur et le vide, et chaque nuit ceux-ci le remplissaient d'une nouvelle compréhension de la mort. Pourtant, lorsqu'il se réveillait, il n'avait pas peur, car il avait foi dans le fait que son inspiratrice avait un but.
Et de fait, un jour, Vaermina elle-même émergea du vide. Elle se pencha vers lui pour lui murmurer à l'oreille.
- Observe attentivement, mon bien-aimé !
Sur ces mots, elle repoussa le rideau du néant et, chaque nuit, des heures durant, elle révéla à Darius les plus horribles perversions de la nature. Des hommes écorchés vifs et dévorés vivants par leurs semblables, des créatures inimaginables aux membres et aux gueules multiples, des populations entières mises au bûcher, leurs cris emplissant chacune de ses soirées. Avec le temps, ces visions commencèrent à ronger son âme et son oeuvre fut de plus en plus teintée par la nature de ses cauchemars. Les images qui lui étaient révélées nuitamment étaient reproduites sur le papier et la terrible cruauté et le vice sans autre but que lui-même contenu dans sa prose révoltaient et fascinaient le public. La plupart se complaisaient dans leur dégoût face au moindre détail. Certains appréciaient ouvertement ses textes choquants et cette popularité dans certains cercles ne faisait que nourrir la haine de ceux qui le trouvaient odieux. Cela continua plusieurs années durant, tandis que l'infamie de Darius ne cessait de grandir. Puis, durant sa vingt-neuvième année, sans prévenir, les rêves et les cauchemars cessèrent.

Darius sentit un poids se lever lorsqu'il n'eut plus à subir ces tortures nocturnes, mais il était perplexe.
- Qu'ai-je fait pour déplaire à ma maitresse ? s'interrogeait-il tout haut. Pourquoi m'a-t-elle abandonné ?
Vaermina ne répondit jamais à ses prières. Personne ne répondit et les rêves agités disparurent pour laisser place à un long et profond sommeil.

L'intérêt pour le travail de Darius Shano s'évanouit. Sa prose devint creuse et ses idées ne parvinrent plus à causer les réactions choquées et outragées d'autrefois. Comme le souvenir de sa notoriété et de ses terribles songes se dissipait, les questions qui tournoyaient dans son esprit finirent par se transformer en ressentiment à l'égard de Vaermina, son ancienne maitresse. Ce ressentiment se transforma en haine. La haine se changea en dérision et, avec le temps, la dérision devint incrédulité. Lentement, les choses devinrent évidentes : Vaermina ne lui avait jamais adressé la parole ; ses rêves n'étaient que le produit d'un esprit malade qui avait fini par se remettre. Il avait été trompé par son propre subconscient. La colère et la honte le submergèrent. L'homme qui avait autrefois conversé avec une déité se laissa progressivement aller vers l'hérésie.

Avec le temps, l'amertume, le doute et le sacrilège se mélangèrent pour donner naissance dans l'esprit de Darius à une philosophie de création qui irrigua tous ses travaux ultérieurs. Il défia les dieux eux-mêmes, ainsi que le public infantile et l'état corrompu qui les vénéraient. Il se moqua de tous par l'entremise de caricatures perverses, n'épargnant personne et ne faisant pas de quartier. En public, il défia les dieux de le foudroyer sur place s'ils existaient puis les railla après qu'aucun châtiment ne lui eût été infligé. Devant ces actes, le peuple réagit avec une indignation bien supérieure à celle que tous ses travaux précédents avaient pu causer. Sa carrière passée n'avait offensé que la sensibilité de certains, mais il s'attaquait à présent au coeur du peuple.

Son oeuvre augmenta en taille et en intensité. Les temples, les nobles et les gens du commun, tous étaient l'objet de son mépris. Finalement, à l'âge de 39 ans, Darius écrivit un texte intitulé "Le plus noble des imbéciles" qui ridiculisait l'empereur-dieu Tiber Septim pour avoir rejoint le culte pathétique des Neufs divins. Le roi local de Daenia, qui avait déjà été humilié par ce parvenu auparavant, y vit une opportunité à saisir : pour son sacrilège contre l'empire, Darius Shano fut exécuté à l'aide d'une lame cérémonielle, sous les hourras d'une foule de plusieurs centaines d'individus. Ses dernières paroles, pleines d'amertume, furent prononcées par des lèvres débordant de son propre sang.

Vingt ans après que leur pari eût été lancé, Vaermina et Shéogorath se retrouvèrent au-dessus du cadavre décapité de Shano. La Tisseuse de Rêves attendait impatiemment cette rencontre ; cela faisait des années qu'elle voulait mettre le prince daedrique face à son absence d'action.
- Tu m'as trompée, Shéogorath ! J'ai accompli ma moitié de notre accord, mais durant tes dix années, pas une fois tu n'as contacté le mortel. Il ne doit rien de sa grandeur à toi, tes talents ou ton influence !
- Absurde ! croassa le Dieu fou. J'étais avec lui tout ce temps ! Lorsque ta période de temps s'est terminée, tes murmures à son oreille ont été remplacés par le silence. J'ai tranché le lien qui le reliait à ce qui lui apportait réconfort et justification et j'ai retiré à cette créature l'attention qu'elle désirait si désespérément. Sans sa maîtresse, la personnalité de cet homme a pu se développer sous l'influence du ressentiment et de la haine. A présent, son amertume est absolue et, emporté par une folie née de sa rage, il me nourrit en serviteur éternel au sein de mon royaume.
Shéogorath se tourna pour parler au vide près de lui.
- Darius Shano fut véritablement un glorieux mortel. Détesté par les siens, par ses rois et même par les dieux qu'il raillait. Pour ma victoire, j'accepterai trois fois vingt adeptes de Vaermina à mon service. Et les rêveurs s'éveilleront en tant que déments.

C'est ainsi que Shéogorath enseigna à Vaermina que sans folie, il n'y a ni rêves, ni création. Une leçon que Vaermina n'oubliera jamais.